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CP 01768 Marcel Proust à Francis Chevassu mercredi matin [le 11 mars 1908]

Surlignage

Mercredi matin


Cher Monsieur

Jʼai envoyé hier soir au Figaro p le
jeune homme qui me sert de secrétaire,
il vous apportait mon manuscrit com-
plet (les Pastiches pour Samedi). Com-
me à une heure du matin vous nʼ
étiez pas arrivé, il lʼa laissé à votre
nom, craignant que vous ne veniez plus.
Il avait demandé, mʼa-t-il télé-
phoné, que si vous ne veniez pas on les
fit toujours composer. Mais la personne
à qui il sʼest adressé (je ne sais pas
qui cʼétait) ne sʼest pas crue autorisée
à le faire. On viendra de ma part
ce soir chercher les épreuves au


2

Figaro. Si elles nʼétaient pas prêtes,
je renverrai jeudi matin et vous les
retournerai jeudi soir à minuit corrigées ;
si ce nʼétait pas trop tard je les garde-
rais peutʼêtre jusquʼà vendredi matin,
mais peux si vous le préférez les faire
remettre jeudi à minuit. Si demain ce soir
quand on viendra q de ma part les chercher
au Figaro, on voulait bien remettre au
porteur avec elles, mon manuscrit
même en morceaux, cela me facilite-
rait la correction mais ce nʼest pas
indispensable. — . Mes pastiches sont
très longs. Malgré cela je souhaite que
vous consentiez à les insérer tous les trois
samedi. Sans vouloir paraître attacher
à la chose plus dʼimportance quʼelle
nʼen a, et aller jusquʼà parler entre
eux trois dʼun équilibre et comme
dʼun dosage qui nʼest peutʼêtre sensible
que pour moi-même, je crois que ces

3

pastiches, un peu plus graves peutʼêtre et se referant à des
auteurs un peu choisis, ont avantage à ne pas passer en trop
petit nombre. Ceux qui connaissent mal Renan se rejette-
ront sur Flaubert et vice versa. Même la dernière
fois des lettrés, sʼil y en avait quatre qui me parlaient
de ces petites plaisanteries, ne préferaient jamais le même.
Lʼun se disait meilleur juge pour Balzac, lʼautre sʼex-
cusait dʼêtre moins ferré sur Goncourt. Et il y avait
4 pastiches. Cette fois il nʼy en a que 3. Je crois que
ce nʼest pas trop. Néanmoins pour ne pas vous obliger à
tout mettre si vous ne vous rangez pas à senti mon sentiment
malgré mes raisons, jʼai interverti lʼordre primitif, il y

4

a dʼabord Flaubert, ensuite la critique de Ste Beuve pour sur Flaubert,
enfin le Renan. De cette façon si vous nʼen voulez que dʼeux, vous
pourrez remettre le Renan à lʼautre Samedi. Mais dans ce
cas il paraîtrait seul, je ne peux vraiment plus en faire en
ce moment. Et je crois que la 1re combinaison est meilleure,
à moins quʼelle ne vous gêne auquel cas elle est détestable
et doit être écartée. Il y a encore un cas où je me rési-
gnerais à nʼen voir que deux. Cʼest celui où sʼil y en avait
trois, cela vous forçait à me chasser de la 1re page. Jʼ
avoue que le genre assez secondaire a assez besoin dʼêtre
relevé par une place un peu éminente. Entre lʼornitholo-
gie
, dʼailleurs si estimable de M. Zamacoïs, et le théâtre
hebdomadaire
de M. Legendre il perdrait un peu de sa grave

5

portée (!) de critique littéraire en action.
Et à ce propos permettez moi dussé-je
dʼun scrupule un peu fastidieux allonger
encore cette lettre dont les dimen-
sions me vaudront votre malédiction
et me priveront de votre attention, si
le fait dʼoccuper si longuement la
1re page devait (je ne mʼen doute pas)
diminuer les honoraires des autres colla-
borateurs du supplément, que cela ne
vous soit nullement un motif, jʼ
abandonnerai avec joie les miens, ne
voyant avant tout à mʼenrôler
dans vos colonnes que la gloire !
Enfin je voudrais que dans le sommaire
du Supplément qui paraît Vendredi
en tête du quotidien mon titre figu-
rat
aussi complet que possible !

Cher Monsieur croyez-moi, je ne
vous ennuierai pas souvent de lettres


aussi longues, mais je tenais puisque je suis trop souffrant pour sortir à tâcher dʼêtre précis et complet.

Et maintenant faites tout ce que vous voudrez, tout ce que vous ferez sera bien fait, je mʼen remets à vous de tout et vous prie dʼagréer mes sentiments bien reconnaissants et distingués

Marcel Proust

Caillavet m’avait dit que je pouvais vous écrire mon cher confrère mais jʼai pas osé ! Nʼest-ce pas ne vous gênez en rien pour mon article. Je vous ai dit mes préférences. Faites triompher les vôtres. Ne prenez pas la peine de me répondre, mais si vous aviez à mʼécrire sachez que souvent je nʼai les lettres quʼà six heures


 
Surlignage

Mercredi matin

Cher Monsieur

Jʼai envoyé hier soir au Figaro le jeune homme qui me sert de secrétaire, il vous apportait mon manuscrit complet (les Pastiches pour samedi). Comme à une heure du matin vous nʼétiez pas arrivé, il lʼa laissé à votre nom, craignant que vous ne veniez plus. Il avait demandé, mʼa-t-il téléphoné, que si vous ne veniez pas on les fît toujours composer. Mais la personne à qui il sʼest adressé (je ne sais pas qui cʼétait) ne sʼest pas crue autorisée à le faire. On viendra de ma part ce soir chercher les épreuves auFigaro. Si elles nʼétaient pas prêtes, je renverrai jeudi matin et vous les retournerai jeudi soir à minuit corrigées ; si ce nʼétait pas trop tard je les garderais peut-être jusquʼà vendredi matin, mais peux si vous le préférez les faire remettre jeudi à minuit. Si ce soir quand on viendra de ma part les chercher au Figaro, on voulait bien remettre au porteur avec elles, mon manuscrit même en morceaux, cela me faciliterait la correction mais ce nʼest pas indispensable.

 Mes pastiches sont très longs. Malgré cela je souhaite que vous consentiez à les insérer tous les trois samedi. Sans vouloir paraître attacher à la chose plus dʼimportance quʼelle nʼen a, et aller jusquʼà parler entre eux trois dʼun équilibre et comme dʼun dosage qui nʼest peut-être sensible que pour moi-même, je crois que cespastiches, un peu plus graves peut-être et se référant à des auteurs un peu choisis, ont avantage à ne pas passer en trop petit nombre. Ceux qui connaissent mal Renan se rejetteront sur Flaubert et vice versa. Même la dernière fois des lettrés, sʼil y en avait quatre qui me parlaient de ces petites plaisanteries, ne préféraient jamais le même. Lʼun se disait meilleur juge pour Balzac, lʼautre sʼexcusait dʼêtre moins ferré sur Goncourt. Et il y avait quatre pastiches. Cette fois il nʼy en a que trois. Je crois que ce nʼest pas trop. Néanmoins pour ne pas vous obliger à tout mettre si vous ne vous rangez pas à mon sentiment malgré mes raisons, jʼai interverti lʼordre primitif, il ya dʼabord Flaubert, ensuite la critique de Sainte-Beuve sur Flaubert, enfin le Renan. De cette façon si vous nʼen voulez que deux, vous pourrez remettre le Renan à lʼautre samedi. Mais dans ce cas il paraîtrait seul, je ne peux vraiment plus en faire en ce moment. Et je crois que la première combinaison est meilleure, à moins quʼelle ne vous gêne auquel cas elle est détestable et doit être écartée. Il y a encore un cas où je me résignerais à nʼen voir que deux. Cʼest celui où sʼil y en avait trois, cela vous forçait à me chasser de la première page. Jʼavoue que le genre assez secondaire a assez besoin dʼêtre relevé par une place un peu éminente. Entre lʼornithologie, dʼailleurs si estimable de M. Zamacoïs, et le théâtre hebdomadaire de M. Legendre il perdrait un peu de sa grave portée (!) de critique littéraire en action. Et à ce propos permettez-moi dussé-je dʼun scrupule un peu fastidieux allonger encore cette lettre dont les dimensions me vaudront votre malédiction et me priveront de votre attention, si le fait dʼoccuper si longuement la première page devait (je ne mʼen doute pas) diminuer les honoraires des autres collaborateurs du Supplément, que cela ne vous soit nullement un motif, jʼabandonnerai avec joie les miens, ne voyant avant tout à mʼenrôler dans vos colonnes que la gloire ! Enfin je voudrais que dans le sommaire du Supplément qui paraît vendredi en tête du quotidien, mon titre figurât aussi complet que possible !

Cher Monsieur croyez-moi, je ne vous ennuierai pas souvent de lettresaussi longues, mais je tenais puisque je suis trop souffrant pour sortir à tâcher dʼêtre précis et complet.

Et maintenant faites tout ce que vous voudrez, tout ce que vous ferez sera bien fait, je mʼen remets à vous de tout et vous prie dʼagréer mes sentiments bien reconnaissants et distingués.

Marcel Proust

Caillavet m’avait dit que je pouvais vous écrire mon cher confrère mais jʼai pas osé ! Nʼest-ce pas ne vous gênez en rien pour mon article. Je vous ai dit mes préférences. Faites triompher les vôtres. Ne prenez pas la peine de me répondre, mais si vous aviez à mʼécrire sachez que souvent je nʼai les lettres quʼà six heures.

 
Note n°1
La présente lettre est datée seulement de « mercredi matin ». Comme Proust lʼécrit le mercredi qui précède le samedi 14 mars 1908 (voir note 2), sa lettre date du mercredi matin [11 mars 1908]. [PK]
Note n°2
Le nom « Calmette », ajouté sur la lettre au crayon à papier après la formule « Cher Monsieur » et ensuite biffé, pourrait suggérer que Proust s’adresse à Gaston Calmette, directeur-gérant du Figaro, et non pas à Francis Chevassu, directeur de rédaction du Supplément littéraire. Toutefois, les lettres de Proust à Calmette de 1906 et 1907 se terminent toujours par une formule chaleureuse, Proust assurant son correspondant de son dévouement, voire de son attachement. Dans la présente lettre, à lʼinverse, la formule d’adieu reste tout à fait impersonnelle (« je […] vous prie d’agréer mes sentiments […] distingués »). Voir aussi plus bas la note 13. [ChC, NM]
Note n°3
Dans une lettre envoyée [vers le 22 février 1908] (CP 01758 ; Kolb, VIII, n° 14), Gaston de Caillavet annonce à Proust que Chevassu, le directeur du Supplément littéraire du Figaro, a trouvé ses pastiches de Balzac, Faguet, Michelet, Goncourt sur « LʼAffaire Lemoine » « délicieux » et quʼil sʼengage à publier la suite le 14 mars. Le « manuscrit complet » en question comportait trois pastiches supplémentaires (Flaubert, Sainte-Beuve, Renan). Chevassu publiera seulement les deux premiers dans le Supplément littéraire du samedi 14 mars 1908, alors que le pastiche de Renan paraîtra seul le samedi 21 mars 1908, probablement à cause de sa longueur (cf. note 8). [ChC, NM]
Note n°4
Les épreuves des pastiches parus dans le Supplément littéraire du Figaro ne nous sont pas parvenues. [ChC]
Note n°5
Il est possible que Proust ait récupéré ce manuscrit transmis au Figaro (distinct des brouillons), au moins en partie (voir Jean Milly, Les Pastiches de Proust, Paris, A. Colin, 1970, p. 93, 112-113, 203-204). En ce qui concerne le manuscrit du pastiche de Flaubert (NAF 16632, f. 30-34), le papier utilisé pour les premières pages est identique à celui des ébauches romanesques réunies la même année dans les « soixante-quinze feuillets » (75 f., p. 247-248 et p. 248 note 1). Mais il pourrait sʼagir là, comme le précise Jean Milly, de la copie précédant celle que Proust avait envoyée au Figaro (Les Pastiches de Proust, op. cit., p. 93). [NM]
Note n°6
Chevassu publiera à part le pastiche de Renan (note 3). [PK, ChC]
Note n°7
Voir la première série de pastiches sur « l’Affaire Lemoine  » par Balzac, Faguet, Michelet et Goncourt. Proust y travaille probablement pendant les mois de janvier et février 1908, puisque la presse relate le « scandale » de la fabrication des diamants dès le 10 janvier (voir à ce propos Le Figaro du 10 janvier 1908, sous la rubrique « Nouvelles Diverses », p. 4), le lendemain de l’interrogation d’Henri Lemoine, accusé d’escroquerie et condamné à six ans de prison en juillet 1909 pour extorsion de fonds à la société De Beers (voir Jean Milly, Les Pastiches de Proust, op. cit., p. 16-17 et CP 01758, note 1 ; Kolb, VIII, n° 14). [PK, ChC]
Note n°8
Le pastiche de Renan, dans la même série, paraît en effet seul, le samedi 21 mars 1908. Proust songe-t-il ici à dʼautres projets en cours (essai critique, pages romanesques...) ? Il reste évasif dans ses lettres, mais a évoqué en janvier « un travail assez long » (voir sa lettre à Madame Straus de [peu après le 10 janvier 1908] : CP 01756 ; Kolb, VIII, n° 12). À en croire ses intentions déclarées, Proust abandonne rapidement les pastiches, qu’il définit comme un « exercice imbécile » dans une lettre à Robert Dreyfus du [samedi 21 mars 1908] (CP 01772 ; Kolb, VIII, n° 28), au moment de la publication du pastiche de Renan. Pourtant, un tout dernier pastiche de « LʼAffaire Lemoine », celui par Henri de Régnier, sera publié lʼannée suivante dans le Supplément littéraire du Figaro samedi 6 mars 1909. [PK, ChC]
Note n°9
Cʼest avec « Sentiments filiaux dʼun parricide », le 1er février 1907, que Proust avait accédé à la première page du Figaro. Cʼest cette place éminente quʼoccuperont tous ses pastiches dans le Supplément littéraire du quotidien. [PK, NM]
Note n°10
Proust réitère cette idée et cette formule dans sa lettre à Robert Dreyfus du [dimanche soir 15 mars 1908] (CP 01769 ; Kolb, VIII, n° 25), où il admet à propos des pastiches : « Cʼétait par paresse de faire de la critique littéraire, amusement de faire de la critique littéraire “en action” ». Il songe dʼailleurs à les réunir en plaquette et, au début dʼavril, demande à la princesse Hélène de Caraman-Chimay dʼintervenir auprès de Paul Hervieu pour obtenir son avis (CP 01782 ; Kolb, VIII, n° 38). [ChC]
Note n°11
Peut-être sʼagit-il dʼun lapsus, Proust ayant voulu dire : « je nʼen doute pas » ? On pourrait aussi lire sur le manuscrit : « je ne nʼen doute pas », et il aurait alors omis de biffer le premier « ne ». [PK, NM]
Note n°12
Le Figaro du vendredi 13 mars 1908 annonce bien en tête de la première page : « SOMMAIRE DE NOTRE Supplément Littéraire DE DEMAIN : MARCEL PROUST … Pastiches (suite) V. Lʼaffaire Lemoine, par Gustave Flaubert. – VI. Critique du roman de Gustave Flaubert sur lʼaffaire Lemoine par Sainte-Beuve. » [PK]
Note n°13
Cette remarque confirme lʼhypothèse que, dans la présente lettre, Proust ne sʼadresse pas à Gaston Calmette mais à Francis Chevassu, le directeur du Supplément littéraire (note 2 ci-dessus). [PK, FL]
Note
Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire Pastiches 14 et 21 mars 1908
Note
Marcel Proust 14 et 21 mars 1908 Le Figaro. Supplément littéraire Pastiches
Note
Marcel Proust 14 et 21 mars 1908 Le Figaro. Supplément littéraire Pastiches
Note
Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire V. LʼAffaire Lemoine par Gustave Flaubert 14 mars 1908
Note
Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire VI. Critique du roman de M. Gustave Flaubert sur "lʼAffaire Lemoine" par Sainte-Beuve dans son feuilleton du "Constitutionnel" 14 mars 1908
Note
Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire VII. LʼAffaire Lemoine par Ernest Renan 21 mars 1908
Note
Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire VII. LʼAffaire Lemoine par Ernest Renan 21 mars 1908
Note
Miguel Zamacoïs Le Figaro. Supplément littéraire LʼArche de Noé - XIX Les Canards 1er février 1908
Note
Louis Legendre Le Figaro. Supplément littéraire En Attendant... 25 janvier 1908
Note
Le Figaro. Supplément littéraire
Note
Le Figaro. Supplément littéraire
Note
Le Figaro 13 mars 1908
Note
Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire Pastiches 14 et 21 mars 1908


Mots-clefs :éditiongenèsepastichepré-publicationssantésorties
Date de mise en ligne : March 1, 2024 15:01
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
Surlignage

Mercredi matin


Cher Monsieur

Jʼai envoyé hier soir au Figaro p le
jeune homme qui me sert de secrétaire,
il vous apportait mon manuscrit com-
plet (les Pastiches pour Samedi). Com-
me à une heure du matin vous nʼ
étiez pas arrivé, il lʼa laissé à votre
nom, craignant que vous ne veniez plus.
Il avait demandé, mʼa-t-il télé-
phoné, que si vous ne veniez pas on les
fit toujours composer. Mais la personne
à qui il sʼest adressé (je ne sais pas
qui cʼétait) ne sʼest pas crue autorisée
à le faire. On viendra de ma part
ce soir chercher les épreuves au


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Figaro. Si elles nʼétaient pas prêtes,
je renverrai jeudi matin et vous les
retournerai jeudi soir à minuit corrigées ;
si ce nʼétait pas trop tard je les garde-
rais peutʼêtre jusquʼà vendredi matin,
mais peux si vous le préférez les faire
remettre jeudi à minuit. Si demain ce soir
quand on viendra q de ma part les chercher
au Figaro, on voulait bien remettre au
porteur avec elles, mon manuscrit
même en morceaux, cela me facilite-
rait la correction mais ce nʼest pas
indispensable. — . Mes pastiches sont
très longs. Malgré cela je souhaite que
vous consentiez à les insérer tous les trois
samedi. Sans vouloir paraître attacher
à la chose plus dʼimportance quʼelle
nʼen a, et aller jusquʼà parler entre
eux trois dʼun équilibre et comme
dʼun dosage qui nʼest peutʼêtre sensible
que pour moi-même, je crois que ces

3

pastiches, un peu plus graves peutʼêtre et se referant à des
auteurs un peu choisis, ont avantage à ne pas passer en trop
petit nombre. Ceux qui connaissent mal Renan se rejette-
ront sur Flaubert et vice versa. Même la dernière
fois des lettrés, sʼil y en avait quatre qui me parlaient
de ces petites plaisanteries, ne préferaient jamais le même.
Lʼun se disait meilleur juge pour Balzac, lʼautre sʼex-
cusait dʼêtre moins ferré sur Goncourt. Et il y avait
4 pastiches. Cette fois il nʼy en a que 3. Je crois que
ce nʼest pas trop. Néanmoins pour ne pas vous obliger à
tout mettre si vous ne vous rangez pas à senti mon sentiment
malgré mes raisons, jʼai interverti lʼordre primitif, il y

4

a dʼabord Flaubert, ensuite la critique de Ste Beuve pour sur Flaubert,
enfin le Renan. De cette façon si vous nʼen voulez que dʼeux, vous
pourrez remettre le Renan à lʼautre Samedi. Mais dans ce
cas il paraîtrait seul, je ne peux vraiment plus en faire en
ce moment. Et je crois que la 1re combinaison est meilleure,
à moins quʼelle ne vous gêne auquel cas elle est détestable
et doit être écartée. Il y a encore un cas où je me rési-
gnerais à nʼen voir que deux. Cʼest celui où sʼil y en avait
trois, cela vous forçait à me chasser de la 1re page. Jʼ
avoue que le genre assez secondaire a assez besoin dʼêtre
relevé par une place un peu éminente. Entre lʼornitholo-
gie
, dʼailleurs si estimable de M. Zamacoïs, et le théâtre
hebdomadaire
de M. Legendre il perdrait un peu de sa grave

5

portée (!) de critique littéraire en action.
Et à ce propos permettez moi dussé-je
dʼun scrupule un peu fastidieux allonger
encore cette lettre dont les dimen-
sions me vaudront votre malédiction
et me priveront de votre attention, si
le fait dʼoccuper si longuement la
1re page devait (je ne mʼen doute pas)
diminuer les honoraires des autres colla-
borateurs du supplément, que cela ne
vous soit nullement un motif, jʼ
abandonnerai avec joie les miens, ne
voyant avant tout à mʼenrôler
dans vos colonnes que la gloire !
Enfin je voudrais que dans le sommaire
du Supplément qui paraît Vendredi
en tête du quotidien mon titre figu-
rat
aussi complet que possible !

Cher Monsieur croyez-moi, je ne
vous ennuierai pas souvent de lettres


aussi longues, mais je tenais puisque je suis trop souffrant pour sortir à tâcher dʼêtre précis et complet.

Et maintenant faites tout ce que vous voudrez, tout ce que vous ferez sera bien fait, je mʼen remets à vous de tout et vous prie dʼagréer mes sentiments bien reconnaissants et distingués

Marcel Proust

Caillavet m’avait dit que je pouvais vous écrire mon cher confrère mais jʼai pas osé ! Nʼest-ce pas ne vous gênez en rien pour mon article. Je vous ai dit mes préférences. Faites triompher les vôtres. Ne prenez pas la peine de me répondre, mais si vous aviez à mʼécrire sachez que souvent je nʼai les lettres quʼà six heures


 
Surlignage

Mercredi matin

Cher Monsieur

Jʼai envoyé hier soir au Figaro le jeune homme qui me sert de secrétaire, il vous apportait mon manuscrit complet (les Pastiches pour samedi). Comme à une heure du matin vous nʼétiez pas arrivé, il lʼa laissé à votre nom, craignant que vous ne veniez plus. Il avait demandé, mʼa-t-il téléphoné, que si vous ne veniez pas on les fît toujours composer. Mais la personne à qui il sʼest adressé (je ne sais pas qui cʼétait) ne sʼest pas crue autorisée à le faire. On viendra de ma part ce soir chercher les épreuves auFigaro. Si elles nʼétaient pas prêtes, je renverrai jeudi matin et vous les retournerai jeudi soir à minuit corrigées ; si ce nʼétait pas trop tard je les garderais peut-être jusquʼà vendredi matin, mais peux si vous le préférez les faire remettre jeudi à minuit. Si ce soir quand on viendra de ma part les chercher au Figaro, on voulait bien remettre au porteur avec elles, mon manuscrit même en morceaux, cela me faciliterait la correction mais ce nʼest pas indispensable.

 Mes pastiches sont très longs. Malgré cela je souhaite que vous consentiez à les insérer tous les trois samedi. Sans vouloir paraître attacher à la chose plus dʼimportance quʼelle nʼen a, et aller jusquʼà parler entre eux trois dʼun équilibre et comme dʼun dosage qui nʼest peut-être sensible que pour moi-même, je crois que cespastiches, un peu plus graves peut-être et se référant à des auteurs un peu choisis, ont avantage à ne pas passer en trop petit nombre. Ceux qui connaissent mal Renan se rejetteront sur Flaubert et vice versa. Même la dernière fois des lettrés, sʼil y en avait quatre qui me parlaient de ces petites plaisanteries, ne préféraient jamais le même. Lʼun se disait meilleur juge pour Balzac, lʼautre sʼexcusait dʼêtre moins ferré sur Goncourt. Et il y avait quatre pastiches. Cette fois il nʼy en a que trois. Je crois que ce nʼest pas trop. Néanmoins pour ne pas vous obliger à tout mettre si vous ne vous rangez pas à mon sentiment malgré mes raisons, jʼai interverti lʼordre primitif, il ya dʼabord Flaubert, ensuite la critique de Sainte-Beuve sur Flaubert, enfin le Renan. De cette façon si vous nʼen voulez que deux, vous pourrez remettre le Renan à lʼautre samedi. Mais dans ce cas il paraîtrait seul, je ne peux vraiment plus en faire en ce moment. Et je crois que la première combinaison est meilleure, à moins quʼelle ne vous gêne auquel cas elle est détestable et doit être écartée. Il y a encore un cas où je me résignerais à nʼen voir que deux. Cʼest celui où sʼil y en avait trois, cela vous forçait à me chasser de la première page. Jʼavoue que le genre assez secondaire a assez besoin dʼêtre relevé par une place un peu éminente. Entre lʼornithologie, dʼailleurs si estimable de M. Zamacoïs, et le théâtre hebdomadaire de M. Legendre il perdrait un peu de sa grave portée (!) de critique littéraire en action. Et à ce propos permettez-moi dussé-je dʼun scrupule un peu fastidieux allonger encore cette lettre dont les dimensions me vaudront votre malédiction et me priveront de votre attention, si le fait dʼoccuper si longuement la première page devait (je ne mʼen doute pas) diminuer les honoraires des autres collaborateurs du Supplément, que cela ne vous soit nullement un motif, jʼabandonnerai avec joie les miens, ne voyant avant tout à mʼenrôler dans vos colonnes que la gloire ! Enfin je voudrais que dans le sommaire du Supplément qui paraît vendredi en tête du quotidien, mon titre figurât aussi complet que possible !

Cher Monsieur croyez-moi, je ne vous ennuierai pas souvent de lettresaussi longues, mais je tenais puisque je suis trop souffrant pour sortir à tâcher dʼêtre précis et complet.

Et maintenant faites tout ce que vous voudrez, tout ce que vous ferez sera bien fait, je mʼen remets à vous de tout et vous prie dʼagréer mes sentiments bien reconnaissants et distingués.

Marcel Proust

Caillavet m’avait dit que je pouvais vous écrire mon cher confrère mais jʼai pas osé ! Nʼest-ce pas ne vous gênez en rien pour mon article. Je vous ai dit mes préférences. Faites triompher les vôtres. Ne prenez pas la peine de me répondre, mais si vous aviez à mʼécrire sachez que souvent je nʼai les lettres quʼà six heures.

 
Note n°1
La présente lettre est datée seulement de « mercredi matin ». Comme Proust lʼécrit le mercredi qui précède le samedi 14 mars 1908 (voir note 2), sa lettre date du mercredi matin [11 mars 1908]. [PK]
Note n°2
Le nom « Calmette », ajouté sur la lettre au crayon à papier après la formule « Cher Monsieur » et ensuite biffé, pourrait suggérer que Proust s’adresse à Gaston Calmette, directeur-gérant du Figaro, et non pas à Francis Chevassu, directeur de rédaction du Supplément littéraire. Toutefois, les lettres de Proust à Calmette de 1906 et 1907 se terminent toujours par une formule chaleureuse, Proust assurant son correspondant de son dévouement, voire de son attachement. Dans la présente lettre, à lʼinverse, la formule d’adieu reste tout à fait impersonnelle (« je […] vous prie d’agréer mes sentiments […] distingués »). Voir aussi plus bas la note 13. [ChC, NM]
Note n°3
Dans une lettre envoyée [vers le 22 février 1908] (CP 01758 ; Kolb, VIII, n° 14), Gaston de Caillavet annonce à Proust que Chevassu, le directeur du Supplément littéraire du Figaro, a trouvé ses pastiches de Balzac, Faguet, Michelet, Goncourt sur « LʼAffaire Lemoine » « délicieux » et quʼil sʼengage à publier la suite le 14 mars. Le « manuscrit complet » en question comportait trois pastiches supplémentaires (Flaubert, Sainte-Beuve, Renan). Chevassu publiera seulement les deux premiers dans le Supplément littéraire du samedi 14 mars 1908, alors que le pastiche de Renan paraîtra seul le samedi 21 mars 1908, probablement à cause de sa longueur (cf. note 8). [ChC, NM]
Note n°4
Les épreuves des pastiches parus dans le Supplément littéraire du Figaro ne nous sont pas parvenues. [ChC]
Note n°5
Il est possible que Proust ait récupéré ce manuscrit transmis au Figaro (distinct des brouillons), au moins en partie (voir Jean Milly, Les Pastiches de Proust, Paris, A. Colin, 1970, p. 93, 112-113, 203-204). En ce qui concerne le manuscrit du pastiche de Flaubert (NAF 16632, f. 30-34), le papier utilisé pour les premières pages est identique à celui des ébauches romanesques réunies la même année dans les « soixante-quinze feuillets » (75 f., p. 247-248 et p. 248 note 1). Mais il pourrait sʼagir là, comme le précise Jean Milly, de la copie précédant celle que Proust avait envoyée au Figaro (Les Pastiches de Proust, op. cit., p. 93). [NM]
Note n°6
Chevassu publiera à part le pastiche de Renan (note 3). [PK, ChC]
Note n°7
Voir la première série de pastiches sur « l’Affaire Lemoine  » par Balzac, Faguet, Michelet et Goncourt. Proust y travaille probablement pendant les mois de janvier et février 1908, puisque la presse relate le « scandale » de la fabrication des diamants dès le 10 janvier (voir à ce propos Le Figaro du 10 janvier 1908, sous la rubrique « Nouvelles Diverses », p. 4), le lendemain de l’interrogation d’Henri Lemoine, accusé d’escroquerie et condamné à six ans de prison en juillet 1909 pour extorsion de fonds à la société De Beers (voir Jean Milly, Les Pastiches de Proust, op. cit., p. 16-17 et CP 01758, note 1 ; Kolb, VIII, n° 14). [PK, ChC]
Note n°8
Le pastiche de Renan, dans la même série, paraît en effet seul, le samedi 21 mars 1908. Proust songe-t-il ici à dʼautres projets en cours (essai critique, pages romanesques...) ? Il reste évasif dans ses lettres, mais a évoqué en janvier « un travail assez long » (voir sa lettre à Madame Straus de [peu après le 10 janvier 1908] : CP 01756 ; Kolb, VIII, n° 12). À en croire ses intentions déclarées, Proust abandonne rapidement les pastiches, qu’il définit comme un « exercice imbécile » dans une lettre à Robert Dreyfus du [samedi 21 mars 1908] (CP 01772 ; Kolb, VIII, n° 28), au moment de la publication du pastiche de Renan. Pourtant, un tout dernier pastiche de « LʼAffaire Lemoine », celui par Henri de Régnier, sera publié lʼannée suivante dans le Supplément littéraire du Figaro samedi 6 mars 1909. [PK, ChC]
Note n°9
Cʼest avec « Sentiments filiaux dʼun parricide », le 1er février 1907, que Proust avait accédé à la première page du Figaro. Cʼest cette place éminente quʼoccuperont tous ses pastiches dans le Supplément littéraire du quotidien. [PK, NM]
Note n°10
Proust réitère cette idée et cette formule dans sa lettre à Robert Dreyfus du [dimanche soir 15 mars 1908] (CP 01769 ; Kolb, VIII, n° 25), où il admet à propos des pastiches : « Cʼétait par paresse de faire de la critique littéraire, amusement de faire de la critique littéraire “en action” ». Il songe dʼailleurs à les réunir en plaquette et, au début dʼavril, demande à la princesse Hélène de Caraman-Chimay dʼintervenir auprès de Paul Hervieu pour obtenir son avis (CP 01782 ; Kolb, VIII, n° 38). [ChC]
Note n°11
Peut-être sʼagit-il dʼun lapsus, Proust ayant voulu dire : « je nʼen doute pas » ? On pourrait aussi lire sur le manuscrit : « je ne nʼen doute pas », et il aurait alors omis de biffer le premier « ne ». [PK, NM]
Note n°12
Le Figaro du vendredi 13 mars 1908 annonce bien en tête de la première page : « SOMMAIRE DE NOTRE Supplément Littéraire DE DEMAIN : MARCEL PROUST … Pastiches (suite) V. Lʼaffaire Lemoine, par Gustave Flaubert. – VI. Critique du roman de Gustave Flaubert sur lʼaffaire Lemoine par Sainte-Beuve. » [PK]
Note n°13
Cette remarque confirme lʼhypothèse que, dans la présente lettre, Proust ne sʼadresse pas à Gaston Calmette mais à Francis Chevassu, le directeur du Supplément littéraire (note 2 ci-dessus). [PK, FL]
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Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire Pastiches 14 et 21 mars 1908
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Marcel Proust 14 et 21 mars 1908 Le Figaro. Supplément littéraire Pastiches
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Marcel Proust 14 et 21 mars 1908 Le Figaro. Supplément littéraire Pastiches
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Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire V. LʼAffaire Lemoine par Gustave Flaubert 14 mars 1908
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Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire VI. Critique du roman de M. Gustave Flaubert sur "lʼAffaire Lemoine" par Sainte-Beuve dans son feuilleton du "Constitutionnel" 14 mars 1908
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Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire VII. LʼAffaire Lemoine par Ernest Renan 21 mars 1908
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Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire VII. LʼAffaire Lemoine par Ernest Renan 21 mars 1908
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Miguel Zamacoïs Le Figaro. Supplément littéraire LʼArche de Noé - XIX Les Canards 1er février 1908
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Louis Legendre Le Figaro. Supplément littéraire En Attendant... 25 janvier 1908
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Le Figaro. Supplément littéraire
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Le Figaro. Supplément littéraire
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Le Figaro 13 mars 1908
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Marcel Proust Le Figaro. Supplément littéraire Pastiches 14 et 21 mars 1908


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Date de mise en ligne : March 1, 2024 15:01
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
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