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CP 01756 Marcel Proust à madame Straus [peu après le 10 janvier 1908]

Surlignage

Je suis désespéré de ce que vous me dites
des travaux quʼon fait à côté de chez vous. Jʼaimerais
beaucoup mieux (je vous assure que cʼest sincère) que ce fut
à côté de chez moi et que vous nʼayez pas de bruit. Je vais penser tout le
temps à cela. Hélas il nʼy a sans doute rien à faire. Voulez-vous que nous louions
un bateau sur lequel on ne fera aucun bruit et dʼoù nous verrons
défiler sans quitter notre lit (nos lits) toutes les belles villes
de lʼunivers posées au bord de la mer


Madame, vos petits almanachs
mʼenchantent et la pensée quʼils
viennent de vous leur ajoute tant
de poesie ! Enfin je suis ravi et je vous
remercie de tout mon cœur. Je suis moins
bien, cʼest pour cela que je ne viens pas.
Et je voudrais me mettre à un travail
assez long, ce qui me rendrait encore
plus difficile de venir. Mais enfin jʼai si


2

envie de vous voir, je viendrai. Vous êtes si
gentille de vous défendre dʼavoir eu de lʼiro-
nie à propos de cet article que mainte-
nant moi jʼai peur de paraître en avoir
un peu trop manqué (dʼironie). Talent
est beaucoup. Je voulais dire que ce nʼest
pas aussi stupide que disent les gens du
monde. Mais les gens du monde sont si
pénêtrés de leur propre stupidité quʼils
ne peuvent jamais croire quʼun des leurs
a du talent. Ils nʼapprécient que

3

les gens de lettres qui ne sont pas du monde. Seulement
(cʼest encore un effet de leur stupidité) ils nʼ
apprécient ces gens de lettres que siʼils expriment leur
mentalité à eux gens du monde. Ils trouvent les
livres de Madame de Noailles stupides et ceux
de Bourget sublimes. Quant à Alexandre de Gabriac
sʼil a fait quelques articles où il y a vraiment
de gracieuses velléités dʼexprimer des choses que nous
aimons, celui dont je parlais ne valait que par

4

ses gentilles intentions et un parfum de vertu.
Mais enfin cʼest encore cela, un journaliste et un
homme du monde qui ne fait pas consister la vertu dans
lʼantisémitisme. Et le tout compose un personnage
en somme plus sympathique que son aspect physique, le
quel je lʼavoue est plus digne du crayon de Sem que
de nos apologies. Je réfléchis quʼen disant nous je suis
bien outrecuidant et que jʼimite votre belle fille sans
avoir au moins lʼexcuse dʼêtre la femme de Jacques !

Votre ami respectueux et reconnaissant


Marcel Proust

Surlignage

Madame, vos petits almanachs mʼenchantent et la pensée quʼils viennent de vous leur ajoute tant de poésie ! Enfin je suis ravi et je vous remercie de tout mon cœur. Je suis moins bien, cʼest pour cela que je ne viens pas. Et je voudrais me mettre à un travail assez long, ce qui me rendrait encore plus difficile de venir. Mais enfin jʼai si envie de vous voir, je viendrai. Vous êtes si gentille de vous défendre dʼavoir eu de lʼironie à propos de cet article que maintenant moi jʼai peur de paraître en avoir un peu trop manqué (dʼironie). Talent est beaucoup. Je voulais dire que ce nʼest pas aussi stupide que disent les gens du monde. Mais les gens du monde sont si pénétrés de leur propre stupidité quʼils ne peuvent jamais croire quʼun des leurs a du talent. Ils nʼapprécient que les gens de lettres qui ne sont pas du monde. Seulement (cʼest encore un effet de leur stupidité) ils nʼapprécient ces gens de lettres que sʼils expriment leur mentalité à eux gens du monde. Ils trouvent les livres de Madame de Noailles stupides et ceux de Bourget sublimes. Quant à Alexandre de Gabriac sʼil a fait quelques articles où il y a vraiment de gracieuses velléités dʼexprimer des choses que nous aimons, celui dont je parlais ne valait que par ses gentilles intentions et un parfum de vertu. Mais enfin cʼest encore cela, un journaliste et un homme du monde qui ne fait pas consister la vertu dans lʼantisémitisme. Et le tout compose un personnage en somme plus sympathique que son aspect physique, lequel je lʼavoue est plus digne du crayon de Sem que de nos apologies. Je réfléchis quʼen disant nous je suis bien outrecuidant et que jʼimite votre belle-fille sans avoir au moins lʼexcuse dʼêtre la femme de Jacques !

Votre ami respectueux et reconnaissant

Marcel Proust

Je suis désespéré de ce que vous me dites des travaux quʼon fait à côté de chez vous. Jʼaimerais beaucoup mieux (je vous assure que cʼest sincère) que ce fût à côté de chez moi et que vous nʼayez pas de bruit. Je vais penser tout le temps à cela. Hélas il nʼy a sans doute rien à faire. Voulez-vous que nous louions un bateau sur lequel on ne fera aucun bruit et dʼoù nous verrons défiler sans quitter notre lit (nos lits) toutes les belles villes de lʼunivers posées au bord de la mer ?

Note n°1
Le papier de quart de deuil de cette lettre est identique à celui de la lettre précédente à madame Straus (CP 01748 ; Kolb, VIII, n° 4), datée par Ph. Kolb [peu après le 10 janvier 1908], mais que nous pouvons situer [le 10 janvier 1908 ou peu après] en raison des allusions à un article d’Alexandre de Gabriac paru en première page du Figaro le 10 janvier : « Les Morts qui se survivent » (voir note 4 ci-après). La présente lettre avait été datée du [2 février 1908] par Ph. Kolb dʼaprès lʼenveloppe de quart de deuil portant le cachet postal : « PARIS 118 / R DʼAMSTERDAM / 12 * / 3 -2 / 08 » (CP 90025). Cette enveloppe est également associée à la présente lettre dans le registre numérisé de la BnF « Marcel Proust. Lettres à Mme Émile Straus, 1890-1921 » (NAF 19742, f. 162v-163r). Toutefois, rien nʼatteste que cette lettre ait été envoyée dans lʼenveloppe en question et tout indique, au contraire, que Proust nʼa pas attendu deux semaines pour remercier madame Straus de son cadeau d’étrennes. Il aurait donc pu écrire cette lettre [peu après le 10 janvier 1908], à savoir quelques jours après la lettre précédente, redatée du [10 janvier 1908 ou peu après]. [PK, FL, ChC, NM]
Note n°2
Madame Straus avait acheté cinq petits carnets chez Kirby, Beard & Cie, 5 rue Auber, afin de les offrir à Proust comme cadeau dʼétrennes en janvier 1908 (Monsieur Proust, p. 326 ; Cn, p. 5-17 et p. 27-29). Ce détail aurait été révélé à Philip Kolb par Céleste Albaret lors d’une conversation privée (cf. Cn 1908, note 10 p. 31-32). Dans la présente lettre, Proust utilise le terme almanach, qui s’avère inapproprié pour désigner ces carnets, probablement par association avec l’« Agenda 1906 ». Le petit agenda en question, utilisé par Proust comme carnet de travail en 1909 puis 1913, vient aussi de chez Kirby, Beard & Cie et contient un calendrier, une liste des festivités, ainsi que d’autres informations sur les saints, les saisons et les phases lunaires. Son format réduit impose une prise de notes assez concise. Les cinq carnets de 1908, de forme oblongue, recouverts de toile grise et ornés chacun dʼun personnage différent en couverture, sont remplis par Proust entre 1908 et 1918 et contiennent, outre des listes dʼadresses et des noms de personnes, diverses esquisses, notes préparatoires, notes de lecture et relevés dʼexpressions attribuées aux personnages. La Bibliothèque nationale de France en possède quatre (NAF 16637, NAF 16638, NAF 11639, NAF 16640) ; le cinquième, resté vierge et offert par Proust à Céleste Albaret, est conservé au Musée Carnavalet. [PK, ChC, NM]
Note n°3
Ce « travail assez long » est-il lʼétude sur Sainte-Beuve, pour laquelle Proust a fait de nombreuses lectures depuis 1906 au moins, et qui pourrait se préciser au début de 1908 ? Ou bien sʼagit-il du premier état du roman que Proust commence à élaborer entre la fin de 1907 et les premiers mois de 1908, et dont le manuscrit des « soixante-quinze feuillets » montre l’une des étapes de rédaction ? Proust aurait pu manifester son intention de s’engager dans ce « projet » deux ans auparavant, selon une lettre à Lucien Daudet des [premiers jours de juin 1906] (CP 01406 ; Kolb, VI, n° 57), où il fait allusion à un travail en cours et explique nʼavoir pas mentionné le nom de sa mère dans ses traductions de Ruskin « pour qu’il ne soit pas question d’elle dans ce que j’écris jusqu’à ce que soit achevé quelque chose que j’ai commencé et qui n’est que sur elle » (nous soulignons) (Lettres, note 8 p. 459). En ce début de 1908, inspiré par « lʼAffaire Lemoine » (« Nouvelles Diverses : La fabrication des diamants », Le Figaro, 10 janvier 1908, p. 4), Proust travaille également à la série des sept pastiches qui seront publiés dans le Supplément littéraire du Figaro les samedis 22 février (Balzac, Faguet, Michelet et les Goncourt), 14 mars (Flaubert et Sainte-Beuve) et 21 mars 1908 (Renan) (CP 01758 ; Kolb, VIII, n° 14). Il est possible que la rédaction des pastiches soit proche d’une étape de l’élaboration du projet romanesque, car Proust utilise en partie le même type de support, à savoir des bifeuillets (non réglés, non filigranés, de format 360 x 230 mm) pour les « soixante-quinze feuillets » (NAF 29020) et pour la mise au net du pastiche de Flaubert (NAF 16632, le bifeuillet folioté 30-31 ; les f. 32, 33, 34 sont des feuillets simples de même format ; 75 f., p. 247-248). Néanmoins, l’allusion de Proust à « un travail assez long » dans la présente lettre nous semble définir moins l’exercice des pastiches que le processus d’écriture de ces pages d’inspiration autobiographique. [PK, FL, ChC, NM]
Note n°4
Allusion à la lettre précédente à madame Straus redatée du [10 janvier 1908 ou peu après] (CP 01748 ; Kolb, VIII, n° 4) à propos dʼun article nécrologique dʼAlexandre de Gabriac où l’auteur fait lʼéloge de la philanthropie des Rothschild (« Les Morts qui se survivent », Le Figaro, 10 janvier 1908, rubrique « La vie de Paris »). Dans la lettre précédente à madame Straus, Proust loue Gabriac en utilisant le mot « talent », et revient ici sur ce terme pour nuancer son jugement. On notera que talent désigne une unité de poids, puis une valeur de compte (Littré), et possède une connotation biblique (cf. Parabole des talents, Matth. XXV, 14-30). Proust a mentionné Gabriac dans plusieurs articles et fait un pastiche de son style à l’usage de Reynaldo Hahn (« Pastiche (non !) d’Alexandre de Gabriac », Lettres à Reynaldo Hahn, présentées, datées et annotées par Philip Kolb, préface d’Emmanuel Berl, Paris, Gallimard, 1956, p. 166 ; Essais, p. 116, 227, 628-629). [PK, ChC, NM]
Note n°5
Au sujet de madame Georges Sachs, née Alice Franckel, et seconde épouse de Jacques Bizet, voir la lettre à madame Straus du vendredi [28 avril 1905] (CP 01195 ; Kolb, V, n° 58), note 2. [PK]
Note
Alexandre de Gabriac Le Figaro Les Morts qui se survivent 10 janvier 1908


Mots-clefs :antisémitismecadeaudéplacementsgenèselecturesmédisancemondanitéspressesorties
Date de mise en ligne : February 16, 2024 16:00
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
Surlignage

Je suis désespéré de ce que vous me dites
des travaux quʼon fait à côté de chez vous. Jʼaimerais
beaucoup mieux (je vous assure que cʼest sincère) que ce fut
à côté de chez moi et que vous nʼayez pas de bruit. Je vais penser tout le
temps à cela. Hélas il nʼy a sans doute rien à faire. Voulez-vous que nous louions
un bateau sur lequel on ne fera aucun bruit et dʼoù nous verrons
défiler sans quitter notre lit (nos lits) toutes les belles villes
de lʼunivers posées au bord de la mer


Madame, vos petits almanachs
mʼenchantent et la pensée quʼils
viennent de vous leur ajoute tant
de poesie ! Enfin je suis ravi et je vous
remercie de tout mon cœur. Je suis moins
bien, cʼest pour cela que je ne viens pas.
Et je voudrais me mettre à un travail
assez long, ce qui me rendrait encore
plus difficile de venir. Mais enfin jʼai si


2

envie de vous voir, je viendrai. Vous êtes si
gentille de vous défendre dʼavoir eu de lʼiro-
nie à propos de cet article que mainte-
nant moi jʼai peur de paraître en avoir
un peu trop manqué (dʼironie). Talent
est beaucoup. Je voulais dire que ce nʼest
pas aussi stupide que disent les gens du
monde. Mais les gens du monde sont si
pénêtrés de leur propre stupidité quʼils
ne peuvent jamais croire quʼun des leurs
a du talent. Ils nʼapprécient que

3

les gens de lettres qui ne sont pas du monde. Seulement
(cʼest encore un effet de leur stupidité) ils nʼ
apprécient ces gens de lettres que siʼils expriment leur
mentalité à eux gens du monde. Ils trouvent les
livres de Madame de Noailles stupides et ceux
de Bourget sublimes. Quant à Alexandre de Gabriac
sʼil a fait quelques articles où il y a vraiment
de gracieuses velléités dʼexprimer des choses que nous
aimons, celui dont je parlais ne valait que par

4

ses gentilles intentions et un parfum de vertu.
Mais enfin cʼest encore cela, un journaliste et un
homme du monde qui ne fait pas consister la vertu dans
lʼantisémitisme. Et le tout compose un personnage
en somme plus sympathique que son aspect physique, le
quel je lʼavoue est plus digne du crayon de Sem que
de nos apologies. Je réfléchis quʼen disant nous je suis
bien outrecuidant et que jʼimite votre belle fille sans
avoir au moins lʼexcuse dʼêtre la femme de Jacques !

Votre ami respectueux et reconnaissant


Marcel Proust

Surlignage

Madame, vos petits almanachs mʼenchantent et la pensée quʼils viennent de vous leur ajoute tant de poésie ! Enfin je suis ravi et je vous remercie de tout mon cœur. Je suis moins bien, cʼest pour cela que je ne viens pas. Et je voudrais me mettre à un travail assez long, ce qui me rendrait encore plus difficile de venir. Mais enfin jʼai si envie de vous voir, je viendrai. Vous êtes si gentille de vous défendre dʼavoir eu de lʼironie à propos de cet article que maintenant moi jʼai peur de paraître en avoir un peu trop manqué (dʼironie). Talent est beaucoup. Je voulais dire que ce nʼest pas aussi stupide que disent les gens du monde. Mais les gens du monde sont si pénétrés de leur propre stupidité quʼils ne peuvent jamais croire quʼun des leurs a du talent. Ils nʼapprécient que les gens de lettres qui ne sont pas du monde. Seulement (cʼest encore un effet de leur stupidité) ils nʼapprécient ces gens de lettres que sʼils expriment leur mentalité à eux gens du monde. Ils trouvent les livres de Madame de Noailles stupides et ceux de Bourget sublimes. Quant à Alexandre de Gabriac sʼil a fait quelques articles où il y a vraiment de gracieuses velléités dʼexprimer des choses que nous aimons, celui dont je parlais ne valait que par ses gentilles intentions et un parfum de vertu. Mais enfin cʼest encore cela, un journaliste et un homme du monde qui ne fait pas consister la vertu dans lʼantisémitisme. Et le tout compose un personnage en somme plus sympathique que son aspect physique, lequel je lʼavoue est plus digne du crayon de Sem que de nos apologies. Je réfléchis quʼen disant nous je suis bien outrecuidant et que jʼimite votre belle-fille sans avoir au moins lʼexcuse dʼêtre la femme de Jacques !

Votre ami respectueux et reconnaissant

Marcel Proust

Je suis désespéré de ce que vous me dites des travaux quʼon fait à côté de chez vous. Jʼaimerais beaucoup mieux (je vous assure que cʼest sincère) que ce fût à côté de chez moi et que vous nʼayez pas de bruit. Je vais penser tout le temps à cela. Hélas il nʼy a sans doute rien à faire. Voulez-vous que nous louions un bateau sur lequel on ne fera aucun bruit et dʼoù nous verrons défiler sans quitter notre lit (nos lits) toutes les belles villes de lʼunivers posées au bord de la mer ?

Note n°1
Le papier de quart de deuil de cette lettre est identique à celui de la lettre précédente à madame Straus (CP 01748 ; Kolb, VIII, n° 4), datée par Ph. Kolb [peu après le 10 janvier 1908], mais que nous pouvons situer [le 10 janvier 1908 ou peu après] en raison des allusions à un article d’Alexandre de Gabriac paru en première page du Figaro le 10 janvier : « Les Morts qui se survivent » (voir note 4 ci-après). La présente lettre avait été datée du [2 février 1908] par Ph. Kolb dʼaprès lʼenveloppe de quart de deuil portant le cachet postal : « PARIS 118 / R DʼAMSTERDAM / 12 * / 3 -2 / 08 » (CP 90025). Cette enveloppe est également associée à la présente lettre dans le registre numérisé de la BnF « Marcel Proust. Lettres à Mme Émile Straus, 1890-1921 » (NAF 19742, f. 162v-163r). Toutefois, rien nʼatteste que cette lettre ait été envoyée dans lʼenveloppe en question et tout indique, au contraire, que Proust nʼa pas attendu deux semaines pour remercier madame Straus de son cadeau d’étrennes. Il aurait donc pu écrire cette lettre [peu après le 10 janvier 1908], à savoir quelques jours après la lettre précédente, redatée du [10 janvier 1908 ou peu après]. [PK, FL, ChC, NM]
Note n°2
Madame Straus avait acheté cinq petits carnets chez Kirby, Beard & Cie, 5 rue Auber, afin de les offrir à Proust comme cadeau dʼétrennes en janvier 1908 (Monsieur Proust, p. 326 ; Cn, p. 5-17 et p. 27-29). Ce détail aurait été révélé à Philip Kolb par Céleste Albaret lors d’une conversation privée (cf. Cn 1908, note 10 p. 31-32). Dans la présente lettre, Proust utilise le terme almanach, qui s’avère inapproprié pour désigner ces carnets, probablement par association avec l’« Agenda 1906 ». Le petit agenda en question, utilisé par Proust comme carnet de travail en 1909 puis 1913, vient aussi de chez Kirby, Beard & Cie et contient un calendrier, une liste des festivités, ainsi que d’autres informations sur les saints, les saisons et les phases lunaires. Son format réduit impose une prise de notes assez concise. Les cinq carnets de 1908, de forme oblongue, recouverts de toile grise et ornés chacun dʼun personnage différent en couverture, sont remplis par Proust entre 1908 et 1918 et contiennent, outre des listes dʼadresses et des noms de personnes, diverses esquisses, notes préparatoires, notes de lecture et relevés dʼexpressions attribuées aux personnages. La Bibliothèque nationale de France en possède quatre (NAF 16637, NAF 16638, NAF 11639, NAF 16640) ; le cinquième, resté vierge et offert par Proust à Céleste Albaret, est conservé au Musée Carnavalet. [PK, ChC, NM]
Note n°3
Ce « travail assez long » est-il lʼétude sur Sainte-Beuve, pour laquelle Proust a fait de nombreuses lectures depuis 1906 au moins, et qui pourrait se préciser au début de 1908 ? Ou bien sʼagit-il du premier état du roman que Proust commence à élaborer entre la fin de 1907 et les premiers mois de 1908, et dont le manuscrit des « soixante-quinze feuillets » montre l’une des étapes de rédaction ? Proust aurait pu manifester son intention de s’engager dans ce « projet » deux ans auparavant, selon une lettre à Lucien Daudet des [premiers jours de juin 1906] (CP 01406 ; Kolb, VI, n° 57), où il fait allusion à un travail en cours et explique nʼavoir pas mentionné le nom de sa mère dans ses traductions de Ruskin « pour qu’il ne soit pas question d’elle dans ce que j’écris jusqu’à ce que soit achevé quelque chose que j’ai commencé et qui n’est que sur elle » (nous soulignons) (Lettres, note 8 p. 459). En ce début de 1908, inspiré par « lʼAffaire Lemoine » (« Nouvelles Diverses : La fabrication des diamants », Le Figaro, 10 janvier 1908, p. 4), Proust travaille également à la série des sept pastiches qui seront publiés dans le Supplément littéraire du Figaro les samedis 22 février (Balzac, Faguet, Michelet et les Goncourt), 14 mars (Flaubert et Sainte-Beuve) et 21 mars 1908 (Renan) (CP 01758 ; Kolb, VIII, n° 14). Il est possible que la rédaction des pastiches soit proche d’une étape de l’élaboration du projet romanesque, car Proust utilise en partie le même type de support, à savoir des bifeuillets (non réglés, non filigranés, de format 360 x 230 mm) pour les « soixante-quinze feuillets » (NAF 29020) et pour la mise au net du pastiche de Flaubert (NAF 16632, le bifeuillet folioté 30-31 ; les f. 32, 33, 34 sont des feuillets simples de même format ; 75 f., p. 247-248). Néanmoins, l’allusion de Proust à « un travail assez long » dans la présente lettre nous semble définir moins l’exercice des pastiches que le processus d’écriture de ces pages d’inspiration autobiographique. [PK, FL, ChC, NM]
Note n°4
Allusion à la lettre précédente à madame Straus redatée du [10 janvier 1908 ou peu après] (CP 01748 ; Kolb, VIII, n° 4) à propos dʼun article nécrologique dʼAlexandre de Gabriac où l’auteur fait lʼéloge de la philanthropie des Rothschild (« Les Morts qui se survivent », Le Figaro, 10 janvier 1908, rubrique « La vie de Paris »). Dans la lettre précédente à madame Straus, Proust loue Gabriac en utilisant le mot « talent », et revient ici sur ce terme pour nuancer son jugement. On notera que talent désigne une unité de poids, puis une valeur de compte (Littré), et possède une connotation biblique (cf. Parabole des talents, Matth. XXV, 14-30). Proust a mentionné Gabriac dans plusieurs articles et fait un pastiche de son style à l’usage de Reynaldo Hahn (« Pastiche (non !) d’Alexandre de Gabriac », Lettres à Reynaldo Hahn, présentées, datées et annotées par Philip Kolb, préface d’Emmanuel Berl, Paris, Gallimard, 1956, p. 166 ; Essais, p. 116, 227, 628-629). [PK, ChC, NM]
Note n°5
Au sujet de madame Georges Sachs, née Alice Franckel, et seconde épouse de Jacques Bizet, voir la lettre à madame Straus du vendredi [28 avril 1905] (CP 01195 ; Kolb, V, n° 58), note 2. [PK]
Note
Alexandre de Gabriac Le Figaro Les Morts qui se survivent 10 janvier 1908


Mots-clefs :antisémitismecadeaudéplacementsgenèselecturesmédisancemondanitéspressesorties
Date de mise en ligne : February 16, 2024 16:00
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
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