CP 02281 Marcel Proust à Albert Nahmias [le vendredi soir 23 février 1912]








1
Mon petit Albert...
Un petit mot excessivement
court pour vous dire dix mille
choses !
1o affaires. Naturellement,
vous avez
raison ! Avec ma naïveté
jʼallais refaire la même chose que
pour
lʼappartement dʼAlbufera
que je vous ai raconté2. Mais je le
laisse cependant le faire parceque
que je ne voudrais pas faire comme
emprunt. Tandis quʼil est
tout naturel que dans une
affaire aussi compliquée je ne
lui rende pas immédiatement
la différence. Je ne sais pourquoi
vous avez parlé de cela à la
Bourse, je vous avais dit que cʼ
était courant et du moment
que mon ami qui est aussi
cʼest absolument simple. Dʼailleurs il nʼy
a nulle vente. Tout simplement
à la liquidation, (vous pouvez en prévenir
Léon) je ne me ferai pas reporter. Pour une
partie des titres (je pense 300 Crown
Mines et 400 Rand Mines, mais jʼattends
pour vous le confirmer une lettre de lui)
je lèverai ces titres, cʼest à dire que je ferai
verser par le Crédit Industriel la somme que
échange. Tout se fera à mon nom. Il est
absolument inutile de dire à Léon que cela
ne regarde en rien que ce nʼest pas moi qui
garderai les titres. Ce nʼest pas du tout
parce que cela mʼhumilie de ne pas avoir
dʼargent que je ne veux pas en parler à
Léon. Car il est tout naturel que jʼaie
gardé ces titres 3 mois et ne puisse plus
les conserver3. Mais cʼest entièrement inutile.
Pour le reste je paierai la différence et ne me
lʼintervalle mon frère a su mes
frasques et on mʼa fait promettre
dʼen rester là. Le nom de mon
frère que jʼai ainsi revu, mʼ
amène à vous gronder sur votre
délicatesse exagérée, car il mʼ
a dit que vous lui aviez envoyé pour
sa fille une merveille4. Il est
tellement confus que... il ne
vous a pas écrit ! Il voulait...
enfin je ne sais pas ce quʼil
voulait, mais il est recon-
naissant à un point ! Albert
vous êtes mille fois trop gentil. Imaginez
vous ne lʼaviez pas été en
quelque chose. Je ne vous lʼécris pas
et ne vous lʼai pas écrit parcequʼ
étant trop malade pour vous voir,
et sachant par expérience
combien vous êtes susceptible, je
ne voulais pas risquer de vous fâcher.
Dʼailleurs vous étiez si gentil que
ma reconnaissance me fermait la
bouche. Car pour mon livre5,
pour ces Mines etc vous avez été si
gentil ! Ce nʼest tout de même
pas votre faute si les Rand Mines nʼ
plus riches qui pourront les attendre verront
certainement.
Avez-vous vu Marcel Plantevignes ?
Vous
deviez lui demander sʼil avait reçu ma lettre
et jʼaurais bien voulu
le savoir6. Naturelle-
ment ne lui écrivez pas pour
cela ; simple-
ment quand vous le verrez.
Jʼai – si vous aimez encore mon travail
– beaucoup plus
encore à vous donner à faire
que dʼhabitude ! un vrai volume7 ! Si cela vous
mettez plus tous ces cachets sauf dans les cas de secret9.
Merci de vos lettres qui sont toujours charmantes.
Comme vous êtes doué pour la gentillesse et la grâce
de lʼesprit. Pourquoi cultiver si peu ces dons
naturels
De cœur à vous mon cher
petit
Marcel
Ce que vous pourriez demander à Léon cʼest comment je dois
procéder (je tiens beaucoup à ce
que ce soit fait par le
Crédit Industriel pour avoir vis à vis de mon ami une sorte de
garantie). Faut-il quʼon vienne avec
lʼargent
et quʼon attende les titres, ou quʼon envoie lʼargent dʼabord.
Ou est-ce eux qui enverront lʼles
argent
titres au Crédit Industriel ?
1
Mon petit Albert...
Un petit mot excessivement court pour vous dire dix mille choses !
1o affaires. Naturellement, vous avez raison ! Avec ma naïveté jʼallais refaire la même chose que pour lʼappartement dʼAlbufera que je vous ai raconté2. Mais je le laisse cependant le faire parce que cela me permet un emprunt déguisé, que je ne voudrais pas faire comme emprunt. Tandis quʼil est tout naturel que dans une affaire aussi compliquée je ne lui rende pas immédiatement la différence. Je ne sais pourquoi vous avez parlé de cela à la Bourse, je vous avais dit que cʼétait courant et du moment que mon ami qui est aussi expérimenté que je le suis peu me le disait, cʼest absolument simple. Dʼailleurs il nʼy a nulle vente. Tout simplement à la liquidation (vous pouvez en prévenir Léon) je ne me ferai pas reporter. Pour une partie des titres (je pense 300 Crown Mines et 400 Rand Mines, mais jʼattends pour vous le confirmer une lettre de lui) je lèverai ces titres, cʼest-à-dire que je ferai verser par le Crédit Industriel la somme que mon ami me dira et on remettra les titres en échange. Tout se fera à mon nom. Il est absolument inutile de dire à Léon que cela ne regarde en rien que ce nʼest pas moi qui garderai les titres. Ce nʼest pas du tout parce que cela mʼhumilie de ne pas avoir dʼargent que je ne veux pas en parler à Léon. Car il est tout naturel que jʼaie gardé ces titres trois mois et ne puisse plus les conserver3. Mais cʼest entièrement inutile. Pour le reste je paierai la différence et ne me ferai reporter pour rien. Car dans lʼintervalle mon frère a su mes frasques et on mʼa fait promettre dʼen rester là. Le nom de mon frère que jʼai ainsi revu, mʼamène à vous gronder sur votre délicatesse exagérée, car il mʼa dit que vous lui aviez envoyé pour sa fille une merveille4. Il est tellement confus que... il ne vous a pas écrit ! Il voulait... enfin je ne sais pas ce quʼil voulait, mais il est reconnaissant à un point ! Albert vous êtes mille fois trop gentil. Imaginez-vous que dernièrement jʼai cru que vous ne lʼaviez pas été en quelque chose. Je ne vous lʼécris pas et ne vous lʼai pas écrit parce quʼétant trop malade pour vous voir, et sachant par expérience combien vous êtes susceptible, je ne voulais pas risquer de vous fâcher. Dʼailleurs vous étiez si gentil que ma reconnaissance me fermait la bouche. Car pour mon livre5, pour ces Mines etc. vous avez été si gentil ! Ce nʼest tout de même pas votre faute si les Rand Mines nʼont pas les cours quʼelles devraient et que de plus riches qui pourront les attendre verront certainement.
Avez-vous vu Marcel Plantevignes ? Vous deviez lui demander sʼil avait reçu ma lettre et jʼaurais bien voulu le savoir6. Naturellement ne lui écrivez pas pour cela ; simplement quand vous le verrez.
Jʼai – si vous aimez encore mon travail – beaucoup plus encore à vous donner à faire que dʼhabitude ! un vrai volume7 ! Si cela vous plaît je vous ferai signe prochainement8. Ne mettez plus tous ces cachets sauf dans les cas de secret9. Merci de vos lettres qui sont toujours charmantes. Comme vous êtes doué pour la gentillesse et la grâce de lʼesprit. Pourquoi cultiver si peu ces dons naturels
De cœur à vous mon cher petit
Marcel
Ce que vous pourriez demander à Léon cʼest comment je dois procéder (je tiens beaucoup à ce que ce soit fait par le Crédit Industriel pour avoir vis-à-vis de mon ami une sorte de garantie). Faut-il quʼon vienne avec lʼargent et quʼon attende les titres, ou quʼon envoie lʼargent dʼabord. Ou est-ce eux qui enverront les titres au Crédit Industriel ?
Date de la dernière mise à jour : August 20, 2024 22:05








1
Mon petit Albert...
Un petit mot excessivement
court pour vous dire dix mille
choses !
1o affaires. Naturellement,
vous avez
raison ! Avec ma naïveté
jʼallais refaire la même chose que
pour
lʼappartement dʼAlbufera
que je vous ai raconté2. Mais je le
laisse cependant le faire parceque
que je ne voudrais pas faire comme
emprunt. Tandis quʼil est
tout naturel que dans une
affaire aussi compliquée je ne
lui rende pas immédiatement
la différence. Je ne sais pourquoi
vous avez parlé de cela à la
Bourse, je vous avais dit que cʼ
était courant et du moment
que mon ami qui est aussi
cʼest absolument simple. Dʼailleurs il nʼy
a nulle vente. Tout simplement
à la liquidation, (vous pouvez en prévenir
Léon) je ne me ferai pas reporter. Pour une
partie des titres (je pense 300 Crown
Mines et 400 Rand Mines, mais jʼattends
pour vous le confirmer une lettre de lui)
je lèverai ces titres, cʼest à dire que je ferai
verser par le Crédit Industriel la somme que
échange. Tout se fera à mon nom. Il est
absolument inutile de dire à Léon que cela
ne regarde en rien que ce nʼest pas moi qui
garderai les titres. Ce nʼest pas du tout
parce que cela mʼhumilie de ne pas avoir
dʼargent que je ne veux pas en parler à
Léon. Car il est tout naturel que jʼaie
gardé ces titres 3 mois et ne puisse plus
les conserver3. Mais cʼest entièrement inutile.
Pour le reste je paierai la différence et ne me
lʼintervalle mon frère a su mes
frasques et on mʼa fait promettre
dʼen rester là. Le nom de mon
frère que jʼai ainsi revu, mʼ
amène à vous gronder sur votre
délicatesse exagérée, car il mʼ
a dit que vous lui aviez envoyé pour
sa fille une merveille4. Il est
tellement confus que... il ne
vous a pas écrit ! Il voulait...
enfin je ne sais pas ce quʼil
voulait, mais il est recon-
naissant à un point ! Albert
vous êtes mille fois trop gentil. Imaginez
vous ne lʼaviez pas été en
quelque chose. Je ne vous lʼécris pas
et ne vous lʼai pas écrit parcequʼ
étant trop malade pour vous voir,
et sachant par expérience
combien vous êtes susceptible, je
ne voulais pas risquer de vous fâcher.
Dʼailleurs vous étiez si gentil que
ma reconnaissance me fermait la
bouche. Car pour mon livre5,
pour ces Mines etc vous avez été si
gentil ! Ce nʼest tout de même
pas votre faute si les Rand Mines nʼ
plus riches qui pourront les attendre verront
certainement.
Avez-vous vu Marcel Plantevignes ?
Vous
deviez lui demander sʼil avait reçu ma lettre
et jʼaurais bien voulu
le savoir6. Naturelle-
ment ne lui écrivez pas pour
cela ; simple-
ment quand vous le verrez.
Jʼai – si vous aimez encore mon travail
– beaucoup plus
encore à vous donner à faire
que dʼhabitude ! un vrai volume7 ! Si cela vous
mettez plus tous ces cachets sauf dans les cas de secret9.
Merci de vos lettres qui sont toujours charmantes.
Comme vous êtes doué pour la gentillesse et la grâce
de lʼesprit. Pourquoi cultiver si peu ces dons
naturels
De cœur à vous mon cher
petit
Marcel
Ce que vous pourriez demander à Léon cʼest comment je dois
procéder (je tiens beaucoup à ce
que ce soit fait par le
Crédit Industriel pour avoir vis à vis de mon ami une sorte de
garantie). Faut-il quʼon vienne avec
lʼargent
et quʼon attende les titres, ou quʼon envoie lʼargent dʼabord.
Ou est-ce eux qui enverront lʼles
argent
titres au Crédit Industriel ?
1
Mon petit Albert...
Un petit mot excessivement court pour vous dire dix mille choses !
1o affaires. Naturellement, vous avez raison ! Avec ma naïveté jʼallais refaire la même chose que pour lʼappartement dʼAlbufera que je vous ai raconté2. Mais je le laisse cependant le faire parce que cela me permet un emprunt déguisé, que je ne voudrais pas faire comme emprunt. Tandis quʼil est tout naturel que dans une affaire aussi compliquée je ne lui rende pas immédiatement la différence. Je ne sais pourquoi vous avez parlé de cela à la Bourse, je vous avais dit que cʼétait courant et du moment que mon ami qui est aussi expérimenté que je le suis peu me le disait, cʼest absolument simple. Dʼailleurs il nʼy a nulle vente. Tout simplement à la liquidation (vous pouvez en prévenir Léon) je ne me ferai pas reporter. Pour une partie des titres (je pense 300 Crown Mines et 400 Rand Mines, mais jʼattends pour vous le confirmer une lettre de lui) je lèverai ces titres, cʼest-à-dire que je ferai verser par le Crédit Industriel la somme que mon ami me dira et on remettra les titres en échange. Tout se fera à mon nom. Il est absolument inutile de dire à Léon que cela ne regarde en rien que ce nʼest pas moi qui garderai les titres. Ce nʼest pas du tout parce que cela mʼhumilie de ne pas avoir dʼargent que je ne veux pas en parler à Léon. Car il est tout naturel que jʼaie gardé ces titres trois mois et ne puisse plus les conserver3. Mais cʼest entièrement inutile. Pour le reste je paierai la différence et ne me ferai reporter pour rien. Car dans lʼintervalle mon frère a su mes frasques et on mʼa fait promettre dʼen rester là. Le nom de mon frère que jʼai ainsi revu, mʼamène à vous gronder sur votre délicatesse exagérée, car il mʼa dit que vous lui aviez envoyé pour sa fille une merveille4. Il est tellement confus que... il ne vous a pas écrit ! Il voulait... enfin je ne sais pas ce quʼil voulait, mais il est reconnaissant à un point ! Albert vous êtes mille fois trop gentil. Imaginez-vous que dernièrement jʼai cru que vous ne lʼaviez pas été en quelque chose. Je ne vous lʼécris pas et ne vous lʼai pas écrit parce quʼétant trop malade pour vous voir, et sachant par expérience combien vous êtes susceptible, je ne voulais pas risquer de vous fâcher. Dʼailleurs vous étiez si gentil que ma reconnaissance me fermait la bouche. Car pour mon livre5, pour ces Mines etc. vous avez été si gentil ! Ce nʼest tout de même pas votre faute si les Rand Mines nʼont pas les cours quʼelles devraient et que de plus riches qui pourront les attendre verront certainement.
Avez-vous vu Marcel Plantevignes ? Vous deviez lui demander sʼil avait reçu ma lettre et jʼaurais bien voulu le savoir6. Naturellement ne lui écrivez pas pour cela ; simplement quand vous le verrez.
Jʼai – si vous aimez encore mon travail – beaucoup plus encore à vous donner à faire que dʼhabitude ! un vrai volume7 ! Si cela vous plaît je vous ferai signe prochainement8. Ne mettez plus tous ces cachets sauf dans les cas de secret9. Merci de vos lettres qui sont toujours charmantes. Comme vous êtes doué pour la gentillesse et la grâce de lʼesprit. Pourquoi cultiver si peu ces dons naturels
De cœur à vous mon cher petit
Marcel
Ce que vous pourriez demander à Léon cʼest comment je dois procéder (je tiens beaucoup à ce que ce soit fait par le Crédit Industriel pour avoir vis-à-vis de mon ami une sorte de garantie). Faut-il quʼon vienne avec lʼargent et quʼon attende les titres, ou quʼon envoie lʼargent dʼabord. Ou est-ce eux qui enverront les titres au Crédit Industriel ?
Date de la dernière mise à jour : August 20, 2024 22:05