CP 01957 Marcel Proust à Robert Dreyfus [le 21 ou le 22 mars 1909]
102 bd Haussmann
Mon cher Robert
Il y a bien longtemps que j’
aurais voulu t’écrire pour te
féliciter de tes
articles du Figaro2.
Tout à fait au début il y en a
eu
un ou deux que je n’avais pas aimés,
parceque je n’avais pas su comprendre
que l’insignifiance dans un
sujet
insignifiant est la marque de l’
originalité vraie. Mais depuis il y
en
a eu plusieurs de délicieux. Et
maintenant je regarde toujours le Figaro
avec confiance et plaisir comme
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la fenêtre d’un salon éclairé3où l’on sait que l’on trouvera
un ami spirituel et charmant.
Et j’entre… Et ainsi si tu
aimes mieux, je vais faire mes
dévotions entre la 9e et 10e
colonne, là où dans sa niche se
tient ce Sage souriant qui au moyen
âge disait la Sagesse des Travaux
et des Jours et de la bouche de
qui partaient sur des banderoles4 des
devises plus naïves certes que tes char-
mants Propos : « En avril, ne
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vous découvrez pas d’un fil ». Ce doit être une biengrande fatigue pour toi de nous donner de si
fréquents plaisirs… Mais ce doit être très agréable
aussi d’assembler des milliers d’auditeurs5pour la
petite réflexion si personnelle et qui garde ton
accent, sourire entre le moment où tu viens de jeter
une cigarette et d’en allumer une autre.
Je ne te demande pas à te voir car mes heures commencent
à 2h. du matin maintenant. Alors non ? Non,
c’est bien aussi mon avis
Tendres amitiés
Marcel Proust
Mon cher Robert
Il y a bien longtemps que j’ aurais voulu t’écrire pour te féliciter de tes articles du Figaro2. Tout à fait au début il y en a eu un ou deux que je n’avais pas aimés, parce que je n’avais pas su comprendre que l’insignifiance dans un sujet insignifiant est la marque de l’ originalité vraie. Mais depuis il y en a eu plusieurs de délicieux. Et maintenant je regarde toujours le Figaro avec confiance et plaisir comme la fenêtre d’un salon éclairé3 où l’on sait que l’on trouvera un ami spirituel et charmant. Et j’entre… Et ainsi si tu aimes mieux, je vais faire mes dévotions entre la neuvième et dizième colonne, là où dans sa niche se tient ce Sage souriant qui au moyen âge disait la Sagesse des Travaux et des Jours et de la bouche de qui partaient sur des banderoles4 des devises plus naïves certes que tes charmants Propos : « En avril, ne vous découvrez pas d’un fil ». Ce doit être une bien grande fatigue pour toi de nous donner de si fréquents plaisirs… Mais ce doit être très agréable aussi d’assembler des milliers d’auditeurs5pour la petite réflexion si personnelle et qui garde ton accent, sourire entre le moment où tu viens de jeter une cigarette et d’en allumer une autre. Je ne te demande pas à te voir car mes heures commencent à deux heures du matin maintenant. Alors non ? Non, c’est bien aussi mon avis.
Tendres amitiés
Marcel Proust
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
102 bd Haussmann
Mon cher Robert
Il y a bien longtemps que j’
aurais voulu t’écrire pour te
féliciter de tes
articles du Figaro2.
Tout à fait au début il y en a
eu
un ou deux que je n’avais pas aimés,
parceque je n’avais pas su comprendre
que l’insignifiance dans un
sujet
insignifiant est la marque de l’
originalité vraie. Mais depuis il y
en
a eu plusieurs de délicieux. Et
maintenant je regarde toujours le Figaro
avec confiance et plaisir comme
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la fenêtre d’un salon éclairé3où l’on sait que l’on trouvera
un ami spirituel et charmant.
Et j’entre… Et ainsi si tu
aimes mieux, je vais faire mes
dévotions entre la 9e et 10e
colonne, là où dans sa niche se
tient ce Sage souriant qui au moyen
âge disait la Sagesse des Travaux
et des Jours et de la bouche de
qui partaient sur des banderoles4 des
devises plus naïves certes que tes char-
mants Propos : « En avril, ne
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vous découvrez pas d’un fil ». Ce doit être une biengrande fatigue pour toi de nous donner de si
fréquents plaisirs… Mais ce doit être très agréable
aussi d’assembler des milliers d’auditeurs5pour la
petite réflexion si personnelle et qui garde ton
accent, sourire entre le moment où tu viens de jeter
une cigarette et d’en allumer une autre.
Je ne te demande pas à te voir car mes heures commencent
à 2h. du matin maintenant. Alors non ? Non,
c’est bien aussi mon avis
Tendres amitiés
Marcel Proust
Mon cher Robert
Il y a bien longtemps que j’ aurais voulu t’écrire pour te féliciter de tes articles du Figaro2. Tout à fait au début il y en a eu un ou deux que je n’avais pas aimés, parce que je n’avais pas su comprendre que l’insignifiance dans un sujet insignifiant est la marque de l’ originalité vraie. Mais depuis il y en a eu plusieurs de délicieux. Et maintenant je regarde toujours le Figaro avec confiance et plaisir comme la fenêtre d’un salon éclairé3 où l’on sait que l’on trouvera un ami spirituel et charmant. Et j’entre… Et ainsi si tu aimes mieux, je vais faire mes dévotions entre la neuvième et dizième colonne, là où dans sa niche se tient ce Sage souriant qui au moyen âge disait la Sagesse des Travaux et des Jours et de la bouche de qui partaient sur des banderoles4 des devises plus naïves certes que tes charmants Propos : « En avril, ne vous découvrez pas d’un fil ». Ce doit être une bien grande fatigue pour toi de nous donner de si fréquents plaisirs… Mais ce doit être très agréable aussi d’assembler des milliers d’auditeurs5pour la petite réflexion si personnelle et qui garde ton accent, sourire entre le moment où tu viens de jeter une cigarette et d’en allumer une autre. Je ne te demande pas à te voir car mes heures commencent à deux heures du matin maintenant. Alors non ? Non, c’est bien aussi mon avis.
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Marcel Proust
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03