CP 01791 Marcel Proust à madame Gaston de Caillavet [le samedi 25 avril 1908]




1
Chère Madame
Je suis trop souffrant, pour que,
même si jʼétais en état de sortir,
je puisse etre un compagnon
possible au théâtre. Je tomberais
dans votre baignoire
comme
« un
chien dans la soupe »
et la
« vicissitude »
serait pour vous. Quel bonheur que
ce triomphe ! Quel délice
que
cette scène2 ! Lʼinfâme
Calmann
ne mʼa toujours
pas répondu3 ! Depuis
onze
jours ! Et cʼétait si urgent. Sʼil
refuse maintenant je n’aurai plus
le temps de m’adresser à un autre4.
Enfin ! — . Vous n’aviez pas compris
ma lettre, et je nʼavais pas dit que je
désirais qu’il refuse5. Au contraire !
Je disais que comme il est si gentil
je nʼai pas eu la même liberté qu’
avec quelqu’un de desagréable et nʼai
pas voulu le tourmenter. Mais cela
ne diminuait pas mon désir quʼil
acceptât. Du reste je trouve que
ce serait tres avantageux pour eux dʼ
accepter. Jʼai chez eux un compte très
élevé de « Plaisirs et les Jours »6
(un livre que jʼai fait autrefois chez
eux) que je nʼai pas payés (car
ils me font payer tous les exemplaires que jʼachete quoique
ne m’ayant jamais donné de droits d’auteur !). Je
crois que jamais ils n’oseront me présenter ce
compte. Mais sʼils publient mes pastiches, et si j’ai
des droits dʼauteur, au lieu de me les donner ils en acquitteront
le compte, je suppose. Ne leur parlez pas de cette chose de comptes qu’ils ont peutʼêtre oubliée et ils ignorent sans doute eux-mêmes. Malgré cela jʼaimerais beaucoup quʼ
ils prennent les pastiches, surtout maintenant où son
silence m’a mis dans un tel retard. Sʼil refuse maintenant
je ne peux plus les publier. Je nʼai pas répondu à
votre lettre parce que jʼai pensé que cet éclaircissement
de mon malentendu avec vous au sujet Calmann vous laisserait
assez froide à la veille du Roi7 ! Et moi-même je dois
dire que le Roi me préoccupait avec raison cent fois plus
Mais maintenant qu’il a triomphé je vous dis cela pour que
vous ne continuiez pas à croire que je ne sais pas ce que je
veux, et que j’aurais eu le toupet de ne plus désirer
Calmann après vous lʼavoir demandé.
Excusez ce mot
écrit sous lʼinfluence de tant de médicaments que je
ne
sais littéralement pas ce que jʼécris et croyez à ma
respectueuse affection
Marcel Proust
Mes hommages admiratifs à Mademoiselle Simone
et mes amitiés
à Gaston.
1
Chère Madame
Je suis trop souffrant pour que, même si jʼétais en état de sortir, je puisse être un compagnon possible au théâtre. Je tomberais dans votre baignoire comme « un chien dans la soupe » et la « vicissitude » serait pour vous. Quel bonheur que ce triomphe ! Quel délice que cette scène2 ! Lʼinfâme Calmann ne mʼa toujours pas répondu3 ! Depuis onze jours ! Et cʼétait si urgent. Sʼilrefuse maintenant je n’aurai plus le temps de m’adresser à un autre4. Enfin !
Vous n’aviez pas compris ma lettre, et je nʼavais pas dit que je désirais qu’il refuse5. Au contraire ! Je disais que comme il est si gentil je nʼai pas eu la même liberté qu’avec quelqu’un de désagréable et nʼai pas voulu le tourmenter. Mais cela ne diminuait pas mon désir quʼil acceptât. Du reste je trouve que ce serait très avantageux pour eux dʼaccepter. Jʼai chez eux un compte très élevé de « Plaisirs et les Jours »6 (un livre que jʼai fait autrefois chez eux) que je nʼai pas payés (carils me font payer tous les exemplaires que jʼachète quoique ne m’ayant jamais donné de droits d’auteur !). Je crois que jamais ils n’oseront me présenter ce compte. Mais sʼils publient mes pastiches, et si j’ai des droits dʼauteur, au lieu de me les donner ils en acquitteront le compte, je suppose. Ne leur parlez pas de cette chose de comptes qu’ils ont peut-être oubliée et ils ignorent sans doute eux-mêmes. Malgré cela jʼaimerais beaucoup quʼils prennent les pastiches, surtout maintenant où son silence m’a mis dans un tel retard. Sʼil refuse maintenant je ne peux plus les publier. Je nʼai pas répondu à votre lettre parce que jʼai pensé que cet éclaircissementde mon malentendu avec vous au sujet Calmann vous laisserait assez froide à la veille du Roi7 ! Et moi-même je dois dire que le Roi me préoccupait avec raison cent fois plus. Mais maintenant qu’il a triomphé je vous dis cela pour que vous ne continuiez pas à croire que je ne sais pas ce que je veux, et que j’aurais eu le toupet de ne plus désirer Calmann après vous lʼavoir demandé.
Excusez ce mot écrit sous lʼinfluence de tant de médicaments que je ne sais littéralement pas ce que jʼécris et croyez à ma respectueuse affection.
Marcel Proust
Mes hommages admiratifs à Mademoiselle Simone et mes amitiés à Gaston.
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03




1
Chère Madame
Je suis trop souffrant, pour que,
même si jʼétais en état de sortir,
je puisse etre un compagnon
possible au théâtre. Je tomberais
dans votre baignoire
comme
« un
chien dans la soupe »
et la
« vicissitude »
serait pour vous. Quel bonheur que
ce triomphe ! Quel délice
que
cette scène2 ! Lʼinfâme
Calmann
ne mʼa toujours
pas répondu3 ! Depuis
onze
jours ! Et cʼétait si urgent. Sʼil
refuse maintenant je n’aurai plus
le temps de m’adresser à un autre4.
Enfin ! — . Vous n’aviez pas compris
ma lettre, et je nʼavais pas dit que je
désirais qu’il refuse5. Au contraire !
Je disais que comme il est si gentil
je nʼai pas eu la même liberté qu’
avec quelqu’un de desagréable et nʼai
pas voulu le tourmenter. Mais cela
ne diminuait pas mon désir quʼil
acceptât. Du reste je trouve que
ce serait tres avantageux pour eux dʼ
accepter. Jʼai chez eux un compte très
élevé de « Plaisirs et les Jours »6
(un livre que jʼai fait autrefois chez
eux) que je nʼai pas payés (car
ils me font payer tous les exemplaires que jʼachete quoique
ne m’ayant jamais donné de droits d’auteur !). Je
crois que jamais ils n’oseront me présenter ce
compte. Mais sʼils publient mes pastiches, et si j’ai
des droits dʼauteur, au lieu de me les donner ils en acquitteront
le compte, je suppose. Ne leur parlez pas de cette chose de comptes qu’ils ont peutʼêtre oubliée et ils ignorent sans doute eux-mêmes. Malgré cela jʼaimerais beaucoup quʼ
ils prennent les pastiches, surtout maintenant où son
silence m’a mis dans un tel retard. Sʼil refuse maintenant
je ne peux plus les publier. Je nʼai pas répondu à
votre lettre parce que jʼai pensé que cet éclaircissement
de mon malentendu avec vous au sujet Calmann vous laisserait
assez froide à la veille du Roi7 ! Et moi-même je dois
dire que le Roi me préoccupait avec raison cent fois plus
Mais maintenant qu’il a triomphé je vous dis cela pour que
vous ne continuiez pas à croire que je ne sais pas ce que je
veux, et que j’aurais eu le toupet de ne plus désirer
Calmann après vous lʼavoir demandé.
Excusez ce mot
écrit sous lʼinfluence de tant de médicaments que je
ne
sais littéralement pas ce que jʼécris et croyez à ma
respectueuse affection
Marcel Proust
Mes hommages admiratifs à Mademoiselle Simone
et mes amitiés
à Gaston.
1
Chère Madame
Je suis trop souffrant pour que, même si jʼétais en état de sortir, je puisse être un compagnon possible au théâtre. Je tomberais dans votre baignoire comme « un chien dans la soupe » et la « vicissitude » serait pour vous. Quel bonheur que ce triomphe ! Quel délice que cette scène2 ! Lʼinfâme Calmann ne mʼa toujours pas répondu3 ! Depuis onze jours ! Et cʼétait si urgent. Sʼilrefuse maintenant je n’aurai plus le temps de m’adresser à un autre4. Enfin !
Vous n’aviez pas compris ma lettre, et je nʼavais pas dit que je désirais qu’il refuse5. Au contraire ! Je disais que comme il est si gentil je nʼai pas eu la même liberté qu’avec quelqu’un de désagréable et nʼai pas voulu le tourmenter. Mais cela ne diminuait pas mon désir quʼil acceptât. Du reste je trouve que ce serait très avantageux pour eux dʼaccepter. Jʼai chez eux un compte très élevé de « Plaisirs et les Jours »6 (un livre que jʼai fait autrefois chez eux) que je nʼai pas payés (carils me font payer tous les exemplaires que jʼachète quoique ne m’ayant jamais donné de droits d’auteur !). Je crois que jamais ils n’oseront me présenter ce compte. Mais sʼils publient mes pastiches, et si j’ai des droits dʼauteur, au lieu de me les donner ils en acquitteront le compte, je suppose. Ne leur parlez pas de cette chose de comptes qu’ils ont peut-être oubliée et ils ignorent sans doute eux-mêmes. Malgré cela jʼaimerais beaucoup quʼils prennent les pastiches, surtout maintenant où son silence m’a mis dans un tel retard. Sʼil refuse maintenant je ne peux plus les publier. Je nʼai pas répondu à votre lettre parce que jʼai pensé que cet éclaircissementde mon malentendu avec vous au sujet Calmann vous laisserait assez froide à la veille du Roi7 ! Et moi-même je dois dire que le Roi me préoccupait avec raison cent fois plus. Mais maintenant qu’il a triomphé je vous dis cela pour que vous ne continuiez pas à croire que je ne sais pas ce que je veux, et que j’aurais eu le toupet de ne plus désirer Calmann après vous lʼavoir demandé.
Excusez ce mot écrit sous lʼinfluence de tant de médicaments que je ne sais littéralement pas ce que jʼécris et croyez à ma respectueuse affection.
Marcel Proust
Mes hommages admiratifs à Mademoiselle Simone et mes amitiés à Gaston.
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03