CP 01936 Marcel Proust à Robert de Montesquiou mardi [le 16 février 1909]






Mardi
Cher Monsieur,
Ma maladie qui s’est un peu
aggravée ces temps-ci s’est
compliquée de ceci
que je ne
peux plus écrire si peu que ce
soit sans avoir tout de suite
des maux de tête. Aussi pour
ne pas écrire inutilement j’atten-
dais d’aller vous voir pour vous
dire que je pensais beaucoup
à
vous, que j’avais lu vos ravis-
sants articles sur Greco2, sur
Léonard3, sur le peintre de
l’Engadine4 et que si je nʼ
avais pas été malade je vous en
aurais félicité. L’autre jour
j’ai lu les Paons5, et si la
lecture me fatigue, du moins
j’ai lu là de si belles choses !
Et dans les plus simples pièces telles
que celles au Dr Robin6, à
la Dsse de Rohan7, il y
a de la vraie grandeur, des
fleurs stylisées mais irrésistibles.
J’ai regretté que mon nom ne fut audessus dʼ
aucune pièce. Je ne le mérite pas autant qu’André
Maurel8. Mais que Victor9 ? Du reste la dédicace
ne fait rien. Les pièces appartiennent à qui sait
s’en approprier la pensée. Et à ce point de vue j’ai
l’orgueil de croire que je suis leur lecteur, ou de
leurs lecteurs, prédestinés. Si par hasard vous aviez
encore le pastiche de St Simon, Fête chez
Montesquiou10 , et si vous n’en faites rien, voulez vous
à l’occasion, et sans que cela presse en rien,
n’importe quand, me le faire adresser 102 bd
Haussmann faire suivre. Tant que je ne pourrai pas tra-
vailler, j’ai l’intention d’écouler encore q.q. pastiches
faits l’année dernière, et peut’être de tout réunir11.
Et me faisant lire dernièrement du St Simon, je me
demandais si celui-là serait assez exact pour être
réuni aux autres. Tout plein de St Simon à ce moment
là12, je l’aurais facilement corrigé. Je ne suis plus dans les
mêmes dispositions, mais si j’en relis ou m’en fais relire,
je pourrais faire les rectifications,
si j’ai des heures possibles. Je
viens d’en traverser d’affreuses.
Au fond le pastiche qui m’amuserait
le plus à faire quand je pourrai
écrire un peu (sans préjudice
d’études plus sérieuses) c’est
un pastiche de vous13 ! Mais d’abord
cela vous fâcherait peut’être, et
je ne veux pas que rien de moi vous
fâche jamais, je vous aime trop
pour cela, et ensuite je crois que
je ne pourrais jamais, que je ne
saurais pas ! _. J’espère bientôt
être de nouveau visible et
approchable, et alors je tâcherai
de vous voir. En attendant
je vous envoie tous mes
affectueux et admiratifs
hommages
Marcel Proust
Mardi
Cher Monsieur,
Ma maladie qui s’est un peu aggravée ces temps-ci s’est compliquée de ceci que je ne peux plus écrire si peu que ce soit sans avoir tout de suite des maux de tête. Aussi pour ne pas écrire inutilement j’attendais d’aller vous voir pour vous dire que je pensais beaucoup à vous, que j’avais lu vos ravis-sants articles sur Greco2, sur Léonard3, sur le peintre de l’Engadine4 et que si je nʼ avais pas été malade je vous en aurais félicité. L’autre jour j’ai lu Les Paons5, et si la lecture me fatigue, du moins j’ai lu là de si belles choses ! Et dans les plus simples pièces telles que celles au Dr Robin6, à la Duchesse de Rohan7, il y a de la vraie grandeur, des fleurs stylisées mais irrésistibles. J’ai regretté que mon nom ne fût au-dessus dʼ aucune pièce. Je ne le mérite pas autant qu’André Maurel8. Mais que Victor9 ? Du reste la dédicace ne fait rien. Les pièces appartiennent à qui sait s’en approprier la pensée. Et à ce point de vue j’ai l’orgueil de croire que je suis leur lecteur, ou de leurs lecteurs, prédestinés. Si par hasard vous aviez encore le pastiche de Saint-Simon, « Fête chez Montesquiou »10 , et si vous n’en faites rien, voulez-vous à l’occasion, et sans que cela presse en rien, n’importe quand, me le faire adresser 102 boulevard Haussmann faire suivre. Tant que je ne pourrai pas travailler, j’ai l’intention d’écouler encore quelques pastiches faits l’année dernière, et peut-être de tout réunir11. Et me faisant lire dernièrement du Saint-Simon, je me demandais si celui-là serait assez exact pour être réuni aux autres. Tout plein de Saint-Simon à ce moment là12, je l’aurais facilement corrigé. Je ne suis plus dans les mêmes dispositions, mais si j’en relis ou m’en fais relire, je pourrais faire les rectifications, si j’ai des heures possibles. Je viens d’en traverser d’affreuses. Au fond le pastiche qui m’amuserait le plus à faire quand je pourrai écrire un peu (sans préjudice d’études plus sérieuses) c’est un pastiche de vous13 ! Mais d’abord cela vous fâcherait peut-être, et je ne veux pas que rien de moi vous fâche jamais, je vous aime trop pour cela, et ensuite je crois que je ne pourrais jamais, que je ne saurais pas !
J’espère bientôt être de nouveau visible etapprochable, et alors je tâcherai de vous voir. En attendant je vous envoie tous mes affectueux et admiratifs hommages.
Marcel Proust
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03






Mardi
Cher Monsieur,
Ma maladie qui s’est un peu
aggravée ces temps-ci s’est
compliquée de ceci
que je ne
peux plus écrire si peu que ce
soit sans avoir tout de suite
des maux de tête. Aussi pour
ne pas écrire inutilement j’atten-
dais d’aller vous voir pour vous
dire que je pensais beaucoup
à
vous, que j’avais lu vos ravis-
sants articles sur Greco2, sur
Léonard3, sur le peintre de
l’Engadine4 et que si je nʼ
avais pas été malade je vous en
aurais félicité. L’autre jour
j’ai lu les Paons5, et si la
lecture me fatigue, du moins
j’ai lu là de si belles choses !
Et dans les plus simples pièces telles
que celles au Dr Robin6, à
la Dsse de Rohan7, il y
a de la vraie grandeur, des
fleurs stylisées mais irrésistibles.
J’ai regretté que mon nom ne fut audessus dʼ
aucune pièce. Je ne le mérite pas autant qu’André
Maurel8. Mais que Victor9 ? Du reste la dédicace
ne fait rien. Les pièces appartiennent à qui sait
s’en approprier la pensée. Et à ce point de vue j’ai
l’orgueil de croire que je suis leur lecteur, ou de
leurs lecteurs, prédestinés. Si par hasard vous aviez
encore le pastiche de St Simon, Fête chez
Montesquiou10 , et si vous n’en faites rien, voulez vous
à l’occasion, et sans que cela presse en rien,
n’importe quand, me le faire adresser 102 bd
Haussmann faire suivre. Tant que je ne pourrai pas tra-
vailler, j’ai l’intention d’écouler encore q.q. pastiches
faits l’année dernière, et peut’être de tout réunir11.
Et me faisant lire dernièrement du St Simon, je me
demandais si celui-là serait assez exact pour être
réuni aux autres. Tout plein de St Simon à ce moment
là12, je l’aurais facilement corrigé. Je ne suis plus dans les
mêmes dispositions, mais si j’en relis ou m’en fais relire,
je pourrais faire les rectifications,
si j’ai des heures possibles. Je
viens d’en traverser d’affreuses.
Au fond le pastiche qui m’amuserait
le plus à faire quand je pourrai
écrire un peu (sans préjudice
d’études plus sérieuses) c’est
un pastiche de vous13 ! Mais d’abord
cela vous fâcherait peut’être, et
je ne veux pas que rien de moi vous
fâche jamais, je vous aime trop
pour cela, et ensuite je crois que
je ne pourrais jamais, que je ne
saurais pas ! _. J’espère bientôt
être de nouveau visible et
approchable, et alors je tâcherai
de vous voir. En attendant
je vous envoie tous mes
affectueux et admiratifs
hommages
Marcel Proust
Mardi
Cher Monsieur,
Ma maladie qui s’est un peu aggravée ces temps-ci s’est compliquée de ceci que je ne peux plus écrire si peu que ce soit sans avoir tout de suite des maux de tête. Aussi pour ne pas écrire inutilement j’attendais d’aller vous voir pour vous dire que je pensais beaucoup à vous, que j’avais lu vos ravis-sants articles sur Greco2, sur Léonard3, sur le peintre de l’Engadine4 et que si je nʼ avais pas été malade je vous en aurais félicité. L’autre jour j’ai lu Les Paons5, et si la lecture me fatigue, du moins j’ai lu là de si belles choses ! Et dans les plus simples pièces telles que celles au Dr Robin6, à la Duchesse de Rohan7, il y a de la vraie grandeur, des fleurs stylisées mais irrésistibles. J’ai regretté que mon nom ne fût au-dessus dʼ aucune pièce. Je ne le mérite pas autant qu’André Maurel8. Mais que Victor9 ? Du reste la dédicace ne fait rien. Les pièces appartiennent à qui sait s’en approprier la pensée. Et à ce point de vue j’ai l’orgueil de croire que je suis leur lecteur, ou de leurs lecteurs, prédestinés. Si par hasard vous aviez encore le pastiche de Saint-Simon, « Fête chez Montesquiou »10 , et si vous n’en faites rien, voulez-vous à l’occasion, et sans que cela presse en rien, n’importe quand, me le faire adresser 102 boulevard Haussmann faire suivre. Tant que je ne pourrai pas travailler, j’ai l’intention d’écouler encore quelques pastiches faits l’année dernière, et peut-être de tout réunir11. Et me faisant lire dernièrement du Saint-Simon, je me demandais si celui-là serait assez exact pour être réuni aux autres. Tout plein de Saint-Simon à ce moment là12, je l’aurais facilement corrigé. Je ne suis plus dans les mêmes dispositions, mais si j’en relis ou m’en fais relire, je pourrais faire les rectifications, si j’ai des heures possibles. Je viens d’en traverser d’affreuses. Au fond le pastiche qui m’amuserait le plus à faire quand je pourrai écrire un peu (sans préjudice d’études plus sérieuses) c’est un pastiche de vous13 ! Mais d’abord cela vous fâcherait peut-être, et je ne veux pas que rien de moi vous fâche jamais, je vous aime trop pour cela, et ensuite je crois que je ne pourrais jamais, que je ne saurais pas !
J’espère bientôt être de nouveau visible etapprochable, et alors je tâcherai de vous voir. En attendant je vous envoie tous mes affectueux et admiratifs hommages.
Marcel Proust
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03