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CP 01933 Marcel Proust à Édouard Rod [le samedi 30 janvier 1909]

Surlignage


102 bd Haussmann

Cher Monsieur

Vous êtes pour moi quelque chose
de tellement plus considérable
qu’un officier de la Légion d’
honneur que j’éprouve quelque
difficulté à vous « féliciter ».
Mais pourtant je pense que ce
sont d’agréables distinctions que
les hommes supérieurs doivent accep-
ter avec simplicité en permettant
à leurs amis d’en éprouver de
la joie. Celle que j’ai ressentie
était très vive et en vous lʼ


exprimant je sais que je suis à
lʼunisson de beaucoup d’
amis connus et inconnus,
amis de l’homme et de l’œuvre,
qui ont été heureux de voir
que la France avait cette
attention pour vous. Cela m’a
rappelé une conversation où
je souhaitais que vous en eussiez une
pour elle, en vous présentant à
l’Académie. Vous lui épargneriez
la honte d’y voir entrer M. Dor-
chain
, M. Ernest Daudet, M.
de Pomairols
ou M. Shlumberger. ce n’est pas la seule raison pour laquelle je souhaite que
vous soyez de l’académie, naturellement !!

Il doit y avoir d’autres
indignes sur la liste. Mais ces noms là m’ont
pourtant frappé. Quand on pense que notre cher
et grand Porto-Riche qui a écrit le Passé
c’est à dire peut’être la plus belle pièce de
théâtre en France depuis Andromaque n’est pas
de l’Académie !
Ma santé a encore empiré depuis que je ne
vous ai vu. Je ne me lêve pas et je ne
vois personne. Sans cela j’aurais été vous
porter l’expression de mes félicitations et
de mon admiratif attachement

Marcel Proust

Surlignage

102 boulevard Haussmann

Cher Monsieur

Vous êtes pour moi quelque chose de tellement plus considérable qu’un officier de la Légion d’ honneur que j’éprouve quelque difficulté à vous « féliciter ». Mais pourtant je pense que ce sont d’agréables distinctions que les hommes supérieurs doivent accepter avec simplicité en permettant à leurs amis d’en éprouver de la joie. Celle que j’ai ressentie était très vive et en vous lʼexprimant je sais que je suis à lʼunisson de beaucoup d’amis connus et inconnus, amis de l’homme et de l’œuvre, qui ont été heureux de voir que la France avait cette attention pour vous. Cela m’a rappelé une conversation où je souhaitais que vous en eussiez une pour elle, en vous présentant à l’Académie. Vous lui épargneriez la honte d’y voir entrer M. Dorchain, M. Ernest Daudet, M. de Pomairols ou M. Schlumberger. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je souhaite que vous soyez de l’Académie, naturellement !! Il doit y avoir d’autresindignes sur la liste. Mais ces noms-là m’ont pourtant frappé. Quand on pense que notre cher et grand Porto-Riche qui a écrit Le Passé, cʼest-à-dire peut-être la plus belle pièce de théâtre en France depuis Andromaque , n’est pas de l’Académie ! Ma santé a encore empiré depuis que je ne vous ai vu. Je ne me lève pas et je ne vois personne. Sans cela j’aurais été vous porter l’expression de mes félicitations et de mon admiratif attachement.

Marcel Proust

Note n°1
Proust a dû écrire cette lettre vraisemblablement le 30 janvier 1909. Voir la note 2 ci-après. [PK]
Note n°2
Allusion, semble-t-il, à l’annonce qui vient de paraître dans Le Figaro du samedi 30 janvier 1909, p. 4, dans la rubrique « Informations : « Légion d’honneur. — Par décret rendu sur la proposition du ministre des Affaires étrangères, sont promus ou nommés dans la Légion d’honneur : Officiers : [...] Rod, citoyen suisse, homme de lettres. » Le même journal publie en première page du lendemain un « Instantané » sur le même écrivain promu. [PK]
Note n°3
La liste à laquelle Proust fait allusion ici semble être celle publiée dans un écho du Figaro le 26 octobre 1908 en première page, dans la rubrique « À Travers Paris » où l’on annonce que l’Académie française vient de faire connaître les candidatures suivantes : « Pour le fauteuil de M. Gebhart : MM. le général Bonnal, G. Schlumberger et Raymond Poincaré. » ; « Pour le fauteuil de M. Ludovic Halévy : MM. Eugène Brieux, Alfred Capus, Georges de Porto-Riche. »  ; « Pour le fauteuil de M. François Coppée : MM. Edmond Haraucourt, Charles de Pomairols, Auguste Dorchain, Ernest Daudet, Jean Aicard. » Aucun des candidats nommés par Proust nʼa jamais été de l’Académie. Cʼest Raymond Poincaré (1860-1934) qui a obtenu le fauteuil de Gebhart le 18 mars 1909 et Eugène Brieux (1858-1932) qui a eu le fauteuil de Ludovic Halévy, le 18 mars 1909. Voir Le Figaro, « Académie française. Deux élections », p. 2. Quant au fauteuil de Coppée, cʼest Jean Aicard (1848-1921) qui l’a obtenu le 1er avril 1909. Le Figaro, « Académie française. Deux immortalités nouvelles », p. 3. [PK, JA]
Note n°4
Georges de Porto-Riche ne sera élu membre de l’Académie française que le 24 mai 1923. Sa pièce Le Passé (1897) avait remporté un grand succès en 1897. Voir aussi la lettre de Proust à Madame Straus du [27 décembre 1907] (CP 01737 ; Kolb, VII, n° 184). Dans un article d’octobre 1904 annonçant la première pièce d’Antoine Bibesco — signé Basset mais rédigé par Proust — ce dernier avait mentionné Porto-Riche comme un des maîtres de Bibesco, comme un des écrivains dramatiques « qui dominent […] la scène française […] de son talent passionné, de son tragique racinien ». « Le prince Antoine Bibesco », 6 ? octobre 1904, Essais, p. 383-385. Voir « Un début au théâtre », Le Figaro, 8 octobre 1904. [PK, JA]
Note
Le Passé Georges de Porto-Riche 1897
Note
Andromaque Jean Racine 1667


Mots-clefs :amitiéarts de la scèneélogesantévie littéraire
Date de mise en ligne : March 20, 2024 15:56
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
Surlignage


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Cher Monsieur

Vous êtes pour moi quelque chose
de tellement plus considérable
qu’un officier de la Légion d’
honneur que j’éprouve quelque
difficulté à vous « féliciter ».
Mais pourtant je pense que ce
sont d’agréables distinctions que
les hommes supérieurs doivent accep-
ter avec simplicité en permettant
à leurs amis d’en éprouver de
la joie. Celle que j’ai ressentie
était très vive et en vous lʼ


exprimant je sais que je suis à
lʼunisson de beaucoup d’
amis connus et inconnus,
amis de l’homme et de l’œuvre,
qui ont été heureux de voir
que la France avait cette
attention pour vous. Cela m’a
rappelé une conversation où
je souhaitais que vous en eussiez une
pour elle, en vous présentant à
l’Académie. Vous lui épargneriez
la honte d’y voir entrer M. Dor-
chain
, M. Ernest Daudet, M.
de Pomairols
ou M. Shlumberger. ce n’est pas la seule raison pour laquelle je souhaite que
vous soyez de l’académie, naturellement !!

Il doit y avoir d’autres
indignes sur la liste. Mais ces noms là m’ont
pourtant frappé. Quand on pense que notre cher
et grand Porto-Riche qui a écrit le Passé
c’est à dire peut’être la plus belle pièce de
théâtre en France depuis Andromaque n’est pas
de l’Académie !
Ma santé a encore empiré depuis que je ne
vous ai vu. Je ne me lêve pas et je ne
vois personne. Sans cela j’aurais été vous
porter l’expression de mes félicitations et
de mon admiratif attachement

Marcel Proust

Surlignage

102 boulevard Haussmann

Cher Monsieur

Vous êtes pour moi quelque chose de tellement plus considérable qu’un officier de la Légion d’ honneur que j’éprouve quelque difficulté à vous « féliciter ». Mais pourtant je pense que ce sont d’agréables distinctions que les hommes supérieurs doivent accepter avec simplicité en permettant à leurs amis d’en éprouver de la joie. Celle que j’ai ressentie était très vive et en vous lʼexprimant je sais que je suis à lʼunisson de beaucoup d’amis connus et inconnus, amis de l’homme et de l’œuvre, qui ont été heureux de voir que la France avait cette attention pour vous. Cela m’a rappelé une conversation où je souhaitais que vous en eussiez une pour elle, en vous présentant à l’Académie. Vous lui épargneriez la honte d’y voir entrer M. Dorchain, M. Ernest Daudet, M. de Pomairols ou M. Schlumberger. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je souhaite que vous soyez de l’Académie, naturellement !! Il doit y avoir d’autresindignes sur la liste. Mais ces noms-là m’ont pourtant frappé. Quand on pense que notre cher et grand Porto-Riche qui a écrit Le Passé, cʼest-à-dire peut-être la plus belle pièce de théâtre en France depuis Andromaque , n’est pas de l’Académie ! Ma santé a encore empiré depuis que je ne vous ai vu. Je ne me lève pas et je ne vois personne. Sans cela j’aurais été vous porter l’expression de mes félicitations et de mon admiratif attachement.

Marcel Proust

Note n°1
Proust a dû écrire cette lettre vraisemblablement le 30 janvier 1909. Voir la note 2 ci-après. [PK]
Note n°2
Allusion, semble-t-il, à l’annonce qui vient de paraître dans Le Figaro du samedi 30 janvier 1909, p. 4, dans la rubrique « Informations : « Légion d’honneur. — Par décret rendu sur la proposition du ministre des Affaires étrangères, sont promus ou nommés dans la Légion d’honneur : Officiers : [...] Rod, citoyen suisse, homme de lettres. » Le même journal publie en première page du lendemain un « Instantané » sur le même écrivain promu. [PK]
Note n°3
La liste à laquelle Proust fait allusion ici semble être celle publiée dans un écho du Figaro le 26 octobre 1908 en première page, dans la rubrique « À Travers Paris » où l’on annonce que l’Académie française vient de faire connaître les candidatures suivantes : « Pour le fauteuil de M. Gebhart : MM. le général Bonnal, G. Schlumberger et Raymond Poincaré. » ; « Pour le fauteuil de M. Ludovic Halévy : MM. Eugène Brieux, Alfred Capus, Georges de Porto-Riche. »  ; « Pour le fauteuil de M. François Coppée : MM. Edmond Haraucourt, Charles de Pomairols, Auguste Dorchain, Ernest Daudet, Jean Aicard. » Aucun des candidats nommés par Proust nʼa jamais été de l’Académie. Cʼest Raymond Poincaré (1860-1934) qui a obtenu le fauteuil de Gebhart le 18 mars 1909 et Eugène Brieux (1858-1932) qui a eu le fauteuil de Ludovic Halévy, le 18 mars 1909. Voir Le Figaro, « Académie française. Deux élections », p. 2. Quant au fauteuil de Coppée, cʼest Jean Aicard (1848-1921) qui l’a obtenu le 1er avril 1909. Le Figaro, « Académie française. Deux immortalités nouvelles », p. 3. [PK, JA]
Note n°4
Georges de Porto-Riche ne sera élu membre de l’Académie française que le 24 mai 1923. Sa pièce Le Passé (1897) avait remporté un grand succès en 1897. Voir aussi la lettre de Proust à Madame Straus du [27 décembre 1907] (CP 01737 ; Kolb, VII, n° 184). Dans un article d’octobre 1904 annonçant la première pièce d’Antoine Bibesco — signé Basset mais rédigé par Proust — ce dernier avait mentionné Porto-Riche comme un des maîtres de Bibesco, comme un des écrivains dramatiques « qui dominent […] la scène française […] de son talent passionné, de son tragique racinien ». « Le prince Antoine Bibesco », 6 ? octobre 1904, Essais, p. 383-385. Voir « Un début au théâtre », Le Figaro, 8 octobre 1904. [PK, JA]
Note
Le Passé Georges de Porto-Riche 1897
Note
Andromaque Jean Racine 1667


Mots-clefs :amitiéarts de la scèneélogesantévie littéraire
Date de mise en ligne : March 20, 2024 15:56
Date de la dernière mise à jour : June 18, 2024 07:03
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